Neuf mois après la chute de la dictature, les Tunisiens ont voté pour élire les membres de l’assemblée Constituante, certes avec beaucoup d’émotion, avec beaucoup de joie, mais surtout avec beaucoup d’inquiétude. Entre modernistes, islamistes, jeunes et vieux au pouvoir, la méfiance est, désormais, totale.
C’est du moins l’impression qui s’est dégagée d’un débat de circonstance qui a eu lieu, le temps d’arriver aux urnes, entre un groupe d’électeurs (un haut fonctionnaire retraité, un jeune étudiant, un ingénieur en télécom et un vétérinaire, ma femme et moi -même).
Pourquoi bouder d’abord notre plaisir: nous étions tous heureux d’être ensemble malgré la longue queue. Les jeunes, bien éduqués, étaient en grande écoute, les moins jeunes plus bavards mais enthousiastes de faire quelque chose d’utile pour le pays après la Constituante, les retraités remercient Dieu de leur avoir donné la possibilité de voter pour la première fois de leur vie. Quel bonheur…!
S’agissant des questions évoquées, les voici en vrac: le groupe a été unanime pour condamner le bilan de l’équipe au pouvoir, depuis 1956. Forte de la stabilité politique, depuis plus d’un demi-siècle, cette équipe clientéliste n’a pas ancré des traditions politiques et démocratiques propres à immuniser le pays contre toute instabilité. Aujourd’hui, le pays est une mosaïque de partis que le véritable peuple, non encore rodé, rejette, totalement, du moins selon les sondages.
Sur le plan développement, la condamnation est également totale, les anciens régimes n’ont pas réussi ce qu’on appelle «la problématique de la socialisation des biens» depuis l’accès à l’indépendance. Plus simplement, les anciens présidents, viscéralement régionalistes, ont entretenu, délibérément, le régionalisme et son corollaire le déséquilibre régional. Il faut aujourd’hui pas moins de 50 ans pour qu’un jeune kassirinois arrive au même niveau de vie qu’un Tunisois ou un Soussien.
Pour un pays utile de 800 km de long et de 300 km de large, les gouvernements caboteurs qui s’étaient succédé, jusqu’ici, n’ont jamais été ni visionnaires ni de fins stratèges en développement. Moralité: leur chute est au final une légitime sanction de leur incompétence caractérisée.
Au rayon des inquiétudes, le groupe craint, sans trop préciser pourquoi, le parti d’obédience islamiste Ennahdha. Ce parti fait peur d’autant plus que face à lui, les modernistes (PDP, Ettakatol, Pôle démocratique, Congrès pour la République ….) se présentent divisés et en rangs dispersés.
Autre inquiétude citée, la tendance, presque confirmée, des anciens RCDistes à faire payer aux révolutionnaires et tous ceux qui les ont exclus la note en optant pour le parti Ennahdha.
Ces inquiétudes sont hélas réelles et vérifiables. Nous ne sommes pas encore au bout du tunnel. Beaucoup de travail nous attend. Qu’à cela ne tienne! C’est notre destinée.
Et comme le disait le journaliste penseur Youssef Seddik: «la démocratie, dans toute sa laideur, reste belle».