Aux dernières nouvelles, 84 sièges auraient été gagnés par Ennahdha, 30 par le CPR, 22 par Ettakatol, 26 par Hechmi El Hamdi, 17 le PDP, 6 le Pôle, 6 Al Moubadara, 6 Afek Tounis, et 8 en faveur d’autres partis et indépendants. 5 sièges sont en discussion…
Surprenants les résultats des élections? Non, répond Maher Kallel, président de l’Association Carthage Business Angel et CEO de KM Management, pour qui «nous nous y attendions, nous l’avions même annoncé, suite à un sondage d’opinion réalisé par l’Association Nou-R».
«Le programme économique proposé par le parti Ennahdha est libéral. Il est important que les actions qu’il lancera dans l’avenir soient cohérentes avec ce programme. Il n’y aura pas de changements brusques ou de mise en cause du système, et les Nahdhaouis n’iront certainement pas à l’encontre des intérêts du pays», estime Maher Kallel, mais qui pense que le challenge auquel doit faire face le parti sorti victorieux des urnes est celui de montrer que la Tunisie peut offrir l’exemple d’un modèle démocratique moderne et tolérant qui sera une référence à l’échelle planétaire.
Rached Ghannouchi, fondateur du mouvement Ennahdha avait déclaré dans un débat radiophonique que l’islam est, dans son essence, libéral et qu’il approuve, à ce titre, l’économie de marché tout comme les activités boursières et financières tant que les transactions sont transparentes et «halal». «Allah aime les riches, il se décrit lui-même comme riche, et puis les pauvres ne peuvent pas donner des «zakats» ni partir en pèlerinage. Tous ceux qui s’enrichissent par des moyens légaux et s’acquittent de leurs devoirs fiscaux et envers le pays et leurs concitoyens ont le droit de s’enrichir autant qu’ils veulent…», a déclaré le cheikh Rached.
Les promesses d’Ennahdha ne sont d’ailleurs pas tombées dans les oreilles de sourds puisque nombre d’entrepreneurs se montrent d’ores et déjà optimistes quant à l’avenir de la Tunisie suite à sa victoire. Pour Sami Gabsi, de MSI Consultants: «l’expérience électorale a été exceptionnelle pour le peuple tunisien qui a assuré à merveille. La victoire écrasante d’Ennahdha ne peut pas nuire dans le sens où elle représente pour nous une garantie de non retour en arrière. A l’époque où les hommes d’affaires n’étaient jamais sûrs d’arriver à bon port et concrétiser leurs projets à cause des mauvaises pratiques. Le système du RCD a disparu, mais ce qui est délicat pour le parti dans l’arène aujourd’hui est de réussir la gestion de la transition».
Mais plus important encore, c’est lutter contre la corruption et les mauvaises pratiques qui ont gangrené le pays du temps de Zine El Abdidine Ben Ali, et préserver les acquis du CSP (Code du statut personnel) et la dimension moderniste et ouverte de la Tunisie. «Maintenant, il nous revient à nous d’être vigilants, de veiller au respect des promesses et d’appeler à l’implication d’autres partis politiques dans la mise en place et l’élaboration des lois qui engageront le pays dans l’avenir».
Le nouveau gouvernement doit restaurer la confiance du peuple dans le système par une meilleure gouvernance et le renforcement du rôle de la justice ainsi que la primauté de la loi. «Ce n’est pas la victoire qui compte, c’est la gestion de la transition et les moyens qui seront mis en œuvre pas les gagnants pour rassurer les investisseurs nationaux et internationaux, et là encore, il ne s’agit pas de discours mais d’actions», précise Ezzeddine Saïdane de Directway Consulting.
Il est approuvé par Tayssir Ben Mlouka, directeur général d’une entreprise de textiles. «Ennahdha est un parti comme un autre. Pour nous, le plus important est de réconforter nos partenaires étrangers. Car dans le secteur de la confection, nous exportons à hauteur de 90%».
«La démocratie a dit son mot. Les urnes se sont exprimées, maintenant place à l’économie», déclare Sana Gnima, directrice générale de «Sanabil Med» qui estime que la nouvelle majorité devra se prononcer sur les actions à lancer pour réhabiliter la classe moyenne appauvrie et marginalisée par l’ancien régime. Elle devra également concocter des recettes efficientes pour résorber le chômage, rassurer les IDE et asseoir un modèle économique et de partenariat qui consolidera les secteurs classiques tout en encourageant de nouvelles niches surtout dans le secteur touristique. «Le tourisme culturel, de luxe, de congrès et alternatif ainsi que la thalassothérapie nécessitent un professionnalisme de haut volt, un savoir-faire pointu et des expertises qui ne sont pas données à tout le monde. Ces produits qui existent dans tous les pays du monde y compris musulmans tels les pays du Golfe, l’Egypte ou la Turquie, exigent toutes sortes de qualifications et de diplômes. Espérons qu’on n’interdira pas à un kinésithérapeute femme d’exercer ses activités dans un centre de thalassothérapie mixte», avance Sana Gnima.
Reste que la société civile a son mot à dire pour ce qui est des réformes économiques et sociales du pays. Le programme économique proposé par Radhi Meddeb, PDG de Comete Engineering et président du mouvement «Action et développement solidaires» pourrait inspirer le nouveau gouvernement de transition. Un plan d’action qui s’articule autour de trois axes: la solidarité entre les régions, entre les classes sociales et entre les générations. M. Meddeb avait déploré lors d’une conférence le fait que les réponses apportées depuis le 14 janvier ne soient pas à la hauteur de la situation, «car on s’est limité au politique, négligeant l’économique et le social».
Les régions intérieures doivent avoir leurs entreprises et leurs parcs technologiques ainsi que leurs propres institutions financières surtout en microfinance, ce qui permettrait, d’après M. Meddeb, de renforcer l’initiative personnelle.
Les régions ont également besoin de gouvernants qui aient le courage politique de les mettre au devant leurs responsabilités en matière de création de projets et de développement du tissu entrepreneurial. Les jeunes des régions qui ont été marginalisés doivent croire en eux-mêmes et en leurs propres capacités à améliorer leurs vécus quand on leur en donne les moyens. «J’ai été choquée à maintes reprises lorsque, appelant des jeunes de la région du Kef à 11h du matin pour leur demander des nouvelles de leurs projets, je les trouvais encore au lit», témoigne une consultante internationale dans le coaching entrepreneurial.
L’entrepreneuriat est également une culture, et il faut être attentif à ne pas se complaire dans un statut de victime en évitant de cultiver un statut d’entrepreneur et de créateur de richesses.
Le gouvernement Ennahdha et ses partenaires devraient, au plus tôt, plancher sur des programmes de sensibilisation en matière de culture entrepreneuriale dans les régions, car l’emploi relève de la responsabilité de tous et de toutes, chômeurs compris et l’entrepreneuriat. C’est aussi une culture.