Après s’être révolté un certain 14 janvier 2011 contre la précarité sociale, l’exclusion, l’iniquité régionale, le peuple tunisien a majoritairement voté, huit mois après, pour un parti –de tendance religieuse-, Ennahdha. Cette victoire était attendue mais pas avec une telle ampleur (plus de 40%).
Pour les rivaux de ce parti, en l’occurrence les partis de gauche, un cocktail d’élitistes et sans attaches populaires, c’est l’apprentissage par le choc.
Au final, le peuple tunisien (qu’il soit idiot ou intelligent) a tranché et il faut respecter son choix. Le spectre de l’exemple algérien a été ainsi définitivement écarté. Dieu merci, d’un point de vue historique, nous sommes sur une trajectoire évolutive heureuse.
Pour les Tunisiens avertis, les résultats de ce scrutin viennent renforcer les objectifs de la révolution et consacrer pour la première fois, depuis l’accession du pays à l’indépendance, l’alternance politique. C’est un acquis indéniable.
Moralité: l’élection de la Constituante aura été, dans son ensemble, une très belle affaire pour le pays.
Pourtant, ni les vainqueurs (Ennahdha et alliés) ni le gouvernement provisoire n’ont osé jubiler et célébrer comme il se doit cet évènement historique. Aucune partie, fut-elle triomphante, n’a jugé utile de faire éclater sa joie.
A regarder de près cette réserve, particulièrement des vainqueurs, on ne peut que leur donner raison. Les défis à relever en un laps de temps très court (une année) sont des équations à plusieurs inconnues.
Au plan interne, le parti Ennahdha va subir la pression de ses électeurs qui, recrutés parmi des couches exclues depuis plus d’un demi siècle et malheureusement peu patients, vont réclamer tout de suite un retour sur investissement de leurs «précieuses voix».
Ce parti et ses alliés devront faire face, également, à des revendications sociales et de développement de tous genres, suspendues du temps du gouvernement de BCE pour des raisons sécuritaires.
Le bureau exécutif qui sortira du prochain congrès de l’Union Générale du Travail de Tunisie (UGTT), en novembre prochain, sera tenté de montrer sa puissance revendicative (laquelle sera légale en plus) et de régler ses comptes avec la Constituante. Cette institution qui l’a ignorée et exclue alors qu’elle était la seule force vive du pays à avoir encadré la révolution et qu’elle demeure, après la disparition du RCD, la seule structure capable de mettre à genoux n’importe quel parti y compris Ennahdha.
Le gouvernement de transition qui sera nommé par la Constituante aura à surmonter une rude épreuve, celle d’élaborer le budget général de l’Etat pour 2012. Ce budget sera mis au point sur la base d’un legs du gouvernement provisoire de BCE. Les membres de ce gouvernement ont puisé sans discernement dans le budget de l’Etat mais aussi dans les ressources extérieures (une aberration) des fonds pour contenir la situation. Les divers déficits vont gommer les quelques progrès accomplis au cours du troisième trimestre (+1,5% de croissance contre moins de 3% au cours du premier trimestre de la même année).
Le ministère des Finances a laissé monter, à lui seul, la compensation jusqu’au tiers du budget de l’Etat (7 milliards de dinars sur un total de 21 milliards, contre 1,5 milliard prévus).
A ces dérapages, il faudrait ajouter l’incapacité de l’administration, particulièrement du ministère du Commerce, de contrôler les prix, provoquant une fausse cherté de la vie et son corollaire, la détérioration du pouvoir d’achat des citoyens.
Au plan externe, Ennahdha, essentiellement handicapée par sa vocation de parti islamiste et surtout par l’islamophobie qui prévaut chez les principaux marchés émetteurs de la destination touristique, risque de compromettre pour la deuxième année consécutive les flux des touristes occidentaux dans notre pays. L’enjeu est de taille lorsqu’on sait que ce secteur emploie directement ou indirectement (transport, services, artisanat, agroalimentaire, agriculture, industrie…) plus de deux millions de personnes.
Au niveau régional et multilatéral, le gouvernement de transition est appelé à mener d’importantes négociations au double niveau régional et multilatéral avec l’Union européenne sur le “Statut avancé“, avec le G8 pour la mobilisation de nouvelles ressources d’emprunt et avec l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur la libéralisation des échanges de services…
Et pour ne rien oublier, Ennahdha aura cette délicate mission d’inventer un nouvel homme politique “islamiste démocrate“, lequel profil n’existe nulle part actuellement –en tout cas à notre connaissance.
Avec autant de chantiers que le prochain gouvernement doit gérer avec professionnalisme, on est tenté de dire que cette victoire ressemble beaucoup à «un cadeau empoisonné».