Présider une commission qui doit être technique, rigoureuse et respectueuse de la loi dans un contexte hautement médiatisé et très politisé, n’est certainement pas dans les cordes de tout le monde. Il faut des moyens humains et matériels, mais aussi du courage, de l’assurance et de la personnalité pour ne pas se laisser manipuler et influencer par qui que ce soit et surtout ne pas succomber aux pressions venant de tous bords pour faire bonne figure.
Adel Ben Ismaïl, président de la Commission sur la confiscation, tient pour sa part à ce que sa commission garde son indépendance et à ce que la primauté de la loi soit seule maîtresse à bord. «Si je dois prendre des décisions pour préserver des acquis entrepreneuriaux qui doivent revenir à l’Etat, je n’hésiterais pas et c’est d’ailleurs ce que je suis en train de faire. Je défendrais bec et ongles les biens de notre pays et du peuple. A ce jour, 41 entreprises sont passées sous le contrôle de la commission de gestion sous tutelle du ministère des Finances, et très bientôt, 50 autres les rejoindront».
Rappelons par ailleurs que la décision de la confiscation des biens des parents et alliés de l’ancien président a suscité nombre de polémiques dans les milieux juridictionnels car elle n’a pas été appuyée par une décision de justice mais elle a été hautement politique. D’après des proches de l’ancien Premier ministre Mohamed Ghannouchi, l’idée serait venue d’un conseiller de l’ombre à l’époque, en l’occurrence Hédi Baccouch. Pour quelles raisons l’avait-il fait et pourquoi ces noms plutôt que d’autres? Il devrait, peut-être, donner les réponses lui-même et ce qui l’a poussé à avancer la liste, l’intérêt du pays ou un désir de régler ses comptes avec un président qui l’a écarté après qu’il l’ait soutenu dans le complot de 1987.
Ce n’est que la partie émergée de l’iceberg
Et encore! Toutes les investigations lancées par la Commission de confiscation finissent toujours par mener sur des pistes inexplorées, presque occultes. «Ce que nous voyons n’est que la partie émergée de l’iceberg». Pour l’instant, la commission planche sur les dossiers des noms listés dans le détail. A chaque fois que magistrats et experts, reconvertis en enquêteurs, croient avoir mis la main sur les dessous d’un groupe ou d’une entreprise, ils découvrent des montages tellement bien ficelés et d’une telle finesse que pour en défaire les nœuds, il faut plus que de l’expertise et l’amour du pays: de la ruse.
La Commission a d’ailleurs beaucoup appris en déployant des efforts considérables dans la maîtrise des spécificités des entités confisquées et la compréhension des montages de gestion et d’interférence.
Ainsi, il n’est pas aisé de pouvoir découvrir les sociétés écran et qui se placent derrière elles. «D’ailleurs, c’est ce qui fait, qu’à ce jour, nous examinons encore les dossiers de Belhassen et Imed Trabelsi. Une partie du groupe Cartago ainsi que d’autres entreprises appartenant à Imed sont encore sous la loupe des experts de la Commission. Il y a un gros morceau de capital latent détenu surtout par des sociétés écran étrangères». La Commission est bien décidée à démanteler le réseau des entreprises en question et découvrir qui se place derrière. Adel Ben Ismail avait du reste, lors d’une conférence de presse organisée au mois d’août dernier, annoncé son intention d’aller au-delà des groupes listés pour atteindre les deuxième et troisième lignes qui en ont profité et ont spolié eux-mêmes les biens du pays: «Nous ne laisserons personne traverser nos filets», avait-il promis à l’époque.
Dans l’attente, d’autres découvertes ont été faites par la commission telle la mainmise de la famille Ben Ali sur les ressources stratégiques en hydrocarbures du pays. Mohamed Akram Bouaouina, neveu de Ben Ali, avait d’ailleurs créé une société appelée «International Petroluem Search and Exploration» dont le capital s’élève à 22 MDT en partenariat avec un homme d’affaires proche de la famille portant le nom de Faouzi Mrabet.
Les associés disposaient même d’une carte des gisements pétroliers les plus importants en Tunisie et du titre des concessions existantes dans le pays: «Tunisia Concession Map».
C’est dire qu’il ne s’agit pas de s’arrêter à l’apparent et qu’il faut essayer de creuser toujours plus profondément pour découvrir le comment de la création des entreprises et des groupes listés et des montages financiers.
La commission fait également face à d’autres impératifs, cette fois-ci d’ordre moral et éthique. Doit-elle spolier un entrepreneur de ses biens s’il est prouvé innocent au mépris de la loi? Ou agir dans la légalité et le respect des droits de l’homme? Car, pour beaucoup qui refusent de l’entendre, c’est la justice et l’équité qui doivent primer et surtout le pouvoir et la force de la loi qui doivent prévaloir.
C’est dans la préservation des droits des plus vulnérables aujourd’hui qu’on garantira la protection des droits des citoyens demain. Si nous laissons le politique et le populiste décider de nôtre avenir et celui de nos enfants, c’est là où l’ancien système corrompu et malsain aura gagné la guerre. Il faut dépassionner le discours social et politique et dépassionner la pratique de la loi.
Sans une institution de justice forte, intègre et solide et une administration bien rôdée, on peut dire adieu à toute transition démocratique.