L’électeur tunisien serait-il un caméléon -au figuré-, c’est-à-dire un homme
versatile qui a cette faculté de changer d’opinion et de conviction suivant les
circonstances? Tout homme de bon sens serait tenté de le croire lorsqu’il lit
cette pétition publiée dans le journal d’Echourouk, du 27 octobre 2011, et
signée par un groupe de militants de la section d’Hammam-Lif du Parti
Progressiste Démocratique (PDP).
Dans cette missive, les pétitionnaires, en l’occurrence Saber El Ayeb, Moufida
Ben Saber, Mokhtar Chammam, Kamel Sboui, Henda Hammami, Aymen El Ayeb, Mongi
Khakhadi, Ali Zakaria El Mejri, Jamila Baghroura, Salem Ben Ksira et Zyad
Mendili, informent leur parti, le PDP, qu’ils mettent fin à leur adhésion, à
partir de la date de la publication de cette pétition, et qu’ils ont décidé de
rejoindre les troupes du parti Ennahdha, grand vainqueur des élections du 23
Octobre.
Ainsi, ces anciens PDP qui ont eu à combattre, avant et durant la campagne
électorale, au nom d’un parti progressiste les projets et programmes d’un parti
conservateur (Ennahdha), décident, apparemment sans aucune réflexion approfondie
et sans aucune concertation avec le reste des adhérents du PDP, à adhérer aux
thèses de leur rival d’hier.
Il faut dire que ce revirement de 180 degrés est déconcertant et appelle
plusieurs interrogations.
D’abord, pourquoi ces personnes avaient-elles adhéré au PDP? Est-ce parce que ce
parti était pressenti, depuis le
14 janvier 2011, par les sondages comme la
seule force politique capable de battre Ennahdha ou du moins de faire jeu égal
avec ce parti?
Comprises dans ce sens, leurs adhésions auraient été motivées uniquement par des
intérêts purement personnels. Au cas où le PDP aurait gagné, ce parti au pouvoir
aurait été pour eux un raccourci heureux pour réaliser leurs ambitions.
Seulement voilà, la PDP a échoué, et de ce fait leurs calculs sont donc tombés à
l’eau? Conséquence: le PDP ne les fait plus rêver. Ils ont décidé de s’en
démettre et de proposer, par voie de presse, leurs services au parti vainqueur
Ennahdha.
Ce retournement de veste de “ces mercenaires politiques new look“ est certes
condamnable au plan moral, mais il est loin d’être un cas isolé. Ces revirements
constitueraient même le sport favori de l’ensemble des adhérents des partis
politiques en Tunisie. En témoigne cet élément d’histoire.
En 1988-89, Ben Ali a été tenté de créer son propre parti, un parti présidentiel
qui lui permettrait de se débarrasser de l’ancien Parti socialiste destourien (PSD)
de Bourguiba, mais ses conseillers ont réussi à l’en dissuader, estimant que
cela ne servirait à rien en ce sens que les adhérents du PSD auraient migré,
sans état d’âme et sans aucun regret pour le PSD, à son nouveau parti.
Convaincu, le président déchu s’était contenté de provoquer un effet de
changement en changeant la dénomination du parti (PSD) en Rassemblement
constitutionnel démocratique (RCD).
C’est dire que cette migration d’essaims d’électeurs sans conviction politique
de partis déchus vers des partis vainqueurs gagnerait à être étudiée par des
sociologues. L’objectif est d’assainir, en prévision des prochaines échéances
politiques, l’électorat tunisien de ces électeurs caméléons et d’éviter qu’ils
trouvent dans ce mercenariat un nouveau business. On l’aura dit.
Mais en attendant, ces “caméléons politiques“ –les ex-“PDPistes“ doivent savoir
que leur adhésion sera surveillée de près dans leur “nouvel amour“, en
l’occurrence Ennahdha, et ce d’autant plus que ce parti n’est pas en “panne“ de
majorité pour leur ouvrir les portes, sans discernement!