Depuis des mois, j’observe le secteur du tourisme se fracasser. Patiente, j’ai écouté à peu près tout le monde en parler. Gouvernement de transition, opérateurs privés, partis politiques, fédérations, syndicats… J’ai même récemment écouté religieusement Rached Ghannouchi et Hamadi Jebali en parler. Le premier développe un modèle de tourisme bâti sur des hôtels où l’on ne sert pas d’alcool. Le second rassure les professionnels en réaffirmant que le secteur est vital, important, incontournable, qu’il représente 7% du PIB, emploie 400.000 tunisiens et fait vivre près de 2 millions de Tunisiens…
Bien. Cela tout le monde le sait. Tous ne cessent de rabâcher les mêmes chiffres, problèmes, diagnostics et analyses. Allons-nous finalement nous occuper de ce secteur ou pas? Que ceux qui veulent en faire une version plus «hallal», ceux qui parodient les diverses études qui ont été réalisées et ceux qui reconnaissent leurs échecs se résignent à une seule urgence : s’y mettre pour raviver le tourisme tunisien et au plus vite. Tous les partis qui vont arriver au pouvoir veulent faire de chaque centimètre carré du pays une destination touristique. Alors réjouissons-nous!
Au lendemain de son arrivée, le ministre du Tourisme et du Commerce du gouvernement de transition a mis au placard la stratégie 2016 sous prétexte qu’elle n’était pas assez révolutionnaire. L’a-t-il remplacé pour autant par une autre? Ce n’était pas, selon lui, son contrat. Qu’à cela ne tienne! Il se devait de remettre la machine en marche, mais il a échoué. D’ailleurs qu’importe, c’est du passé. Sauf que c’est un passé lourd qu’il faut empêcher de peser sur la prochaine saison. A ce jour, diverses prévisions augurent déjà d’un «bis repetita» si l’on ne prend pas les mesures qu’il faut et dans l’urgence.
Du côté des professionnels du tourisme, on souffre en silence. Même les plus bruyants semblent peu engagés pour sauver leur secteur. Les grèves attendues, quoique légitimes, semblent complètement incongrues en pareille conjoncture. Les partis politiques qui se discutent les portefeuilles réalisent assurément la hardiesse de la tâche qui les attend. Une prise en main efficace et immédiate et à peine quelques semaines sont nécessaires pour réussir à trouver des solutions et tenter d’amenuiser les pertes en emplois.
La stratégie 2016 du tourisme tunisien a été payée un million de dinars par les contribuables. Tous les partis politiques, sans exception, s’en sont inspirés pour leurs programmes. Ils l’ont imitée, charcutée; pompée, maquillée et recousue. Tous, y compris la gouvernance actuelle, y ont fait leur propre marché. Est-ce pour autant le sésame qui va secourir le secteur? Pas forcément. Elle a au moins un mérite. Elle est prête et l’on s’accorde sur son pragmatisme et son immédiateté.
A l’heure actuelle, on ne peut que remettre cette étude sur la table, en comblant partiellement ses lacunes. S’il fallait refaire l’étude Roland Berger, comme le propose Ennahdha, ce serait perdre du temps et de l’argent que nous n’avons pas.
2011 touche à sa fin et les prévisions pour les fêtes de fin d’année ne sont pas réjouissantes. Les contrats 2012 sont déjà signés ou en voie de l’être pour les retardataires. Que tous ceux qui veulent révolutionner le tourisme tunisien mettent un peu d’eau dans leur vin en différant leurs trop grandes ambitions.
Le mieux étant parfois l’ennemi du bien, il s’agit d’abord de repositionner la destination dans l’échiquier des offres, d’aider les entreprises les plus solides à rester en vie et de se pencher sur la libéralisation du ciel.
Réconcilier les professionnels avec leur secteur et leur administration est l’autre condition vitale pour sauver l’ensemble du tourisme et, par ricochet, l’économie tunisienne.
Si on laisse les choses en l’état, sous couvert que les priorités sont ailleurs et que le cas 2011 n’a pas réussi malgré les efforts, 2012 sera irrécupérable. A ce jour, peu d’avions programment la destination. Et à titre indicatif, 3 hôtels sur 13 sont ouverts à Tozeur où une population perd autant espoirs que confiance.
A ce jour, l’Open Sky est relégué aux calanques grecques, les tours opérateurs observent passivement et aucune réponse sérieuse ne parvient à se faire via Internet malgré les sommes considérables qui ont été dépensées… sont autant d’éléments alarmants sur la capacité de réagir de la destination. Les professionnels du tourisme et son administration vont-ils encore longtemps rester les fossoyeurs de leur propre secteur?
A la veille de la constitution d’un gouvernement d’Union nationale ou d’un gouvernement composé de technocrates, nous sommes dans l’obligation de se demander si cette dernière possibilité peut faire l’affaire? Surtout pas. Du moins pour le tourisme. Le secteur a eu le temps de constater le désastre dans lequel il s’est retrouvé, avec un ministre qui n’y connaît pas grand-chose au secteur. A-t-il préempté le secteur entre temps. Peut-être!
L’actuel ministre coiffe deux ministères et a passé beaucoup son temps à s’occuper d’un troisième, à savoir celui de la culture. C’est tant mieux pour l’avenir mais pas assez bon pour l’immédiat. Vous l’aurez sans doute compris, l’actuel ministre du Tourisme et du Commerce aura fait une piètre prestation. Une prestation qui a coûté cher au secteur et dont la facture risquerait de s’alourdir s’il venait à rester ou s’il venait à être remplacé par un autre technocrate.
Pouvait-on faire mieux? Peu importe, il s’agit de ne plus prolonger ni l’attentisme ni l’amateurisme. Mehdi Houas est un bel orateur qui rassure et donne confiance. Il pourrait faire carrière dans la diplomatie mais aujourd’hui le tourisme a besoin de rassembleurs. Il a besoin d’expérience, de concertation et de solidarité.
Le tourisme tunisien ne pourra, en deuxième temps, renaître de ses cendres que s’il venait à devenir une priorité nationale pour tirer profit et dynamisme de tous les autres secteurs qui dépendent de lui, comme le transport, l’artisanat, l’agriculture…
Le tourisme a besoin d’action, d’innovation et d’audace. Pour sortir de l’immobilisme et de l’attentisme, et une fois débarrassé, du moins on l’espère, du clientélisme, il pourra s’essayer à de nouvelles voies y compris celles que propose Ennahdha avec un tourisme religieux, de shopping et culturel. Sauf que pour demain et les années à venir, il faut sauver les acquis en ne se risquant pas à mettre tous ces œufs dans le même panier. Aujourd’hui, le tourisme a besoin de pragmatisme. Il doit sortir sa tête de l’eau.