Il n’y a eu, dans le monde, qu’une seule exécution spectaculaire et historique: Ceausescu de Roumanie en 1989. De Sadate à Kadhafi, l’Histoire du monde arabe contemporain s’est plus d’une fois écrite avec du sang. Pourquoi?
Il est plus que certain que seuls les historiens sont les mieux placés pour expliquer la raison profonde qui fait que les chefs d’Etat arabes ne quittent le pouvoir que poussés à le faire, ou carrément tués. En attendant leurs travaux, nous tenterons, pour notre part, de jeter sur ce mystère juste une petite lumière que nous puiserons dans la personnalité même de ces tyrans qui ont régulièrement infantilisé, appauvri et méprisé leurs peuples.
Ils arrivent au pouvoir à la faveur d’une succession conforme à la Constitution ou d’un coup d’Etat, promettent à leurs peuples monts et merveilles, commencent par amasser des fortunes colossales et inimaginables, puis, grisés par le pouvoir et le culte de la personnalité, ils se transforment vite en dictateurs intrépides et intraitables en brandissant haut et fort l’esprit qui les anime: «J’y suis, j’y reste! Je fais tout ce que je veux, et je tue quiconque ouvre la bouche!». Qui sont donc ces chefs d’Etat arabes ?
Deux points communs: pauvreté et formation militaire
Il y a tout lieu de considérer que, dans leur majorité écrasante, les Arabes ne sont pas faits pour le pouvoir. Y accéder est, pour eux, l’occasion rêvée de régler leurs comptes à une enfance (ou jeunesse) difficile et à un sort qui n’aurait pas été de toute clémence avec eux. Arriver, donc, au pouvoir, c’est surtout sauter sur cette occasion providentielle de pouvoir enfin se venger de tout et de tous. Et rien n’assouvit leur haine, ni l’argent (autant ils en ont, autant ils en redemandent), ni l’étendue de leur règne (tant qu’ils sont au pouvoir ils veulent y rester le plus longtemps possible, jusqu’à la mort de préférence). Jamais ils ne peuvent se faire à l’idée de partir en beauté. C’est d’autant moins imaginable dans leur tête qu’ils s’imaginent être, ou avoir été, les sauveurs de leurs peuples.
Qui aurait jamais imaginé un Anouar Sadate, pourtant co-prix Nobel de la paix en 1978 avec Rabin, capable de livrer une guerre farouche, en septembre 1981, contre les intellectuels, les communistes, les nasséristes, les féministes et les islamistes, ceux-ci ayant désapprouvé sa normalisation manifeste dans les accords de Camp David? (le baisemain donné à une Golda Maër assise dans son fauteuil est resté dans tous les esprits). Il a tué par centaines ses opposants. Le 6 octobre 1981, il est assassiné par plusieurs balles lors d’une parade militaire. En plein jour. En plein public.
Issu d’une famille pauvre comptant 13 enfants, Anouar Sadate a fait l’académie militaire royale du Caire, et a succédé à Jamal Abdennasser.
Durant 25 ans (1981 – 2006), les peuples arabes subissent, en silence et à des degrés différents, le diktat et le totalitarisme de ceux qui président à leur destinée. Jusqu’au jour où, un certain 30 décembre 2006, jour de l’Aïd Al Id’ha, un deuxième chef d’Etat arabe, au bout d’un procès marathon, est pendu sous le regard du monde entier qui a suivi son exécution sur le petit écran. Arrivé au pouvoir grâce à un coup d’Etat (il a renversé son propre cousin), Saddam Hussein a régné sans partage et en parfait dictateur sur l’Irak dont il a tué par milliers ses concitoyens opposants.
Il est né dans une bourgade près de Tekrit dans une famille paysanne sunnite, et a été élevé par son oncle maternel.
La malchance des Tunisiens a fait qu’au soir de sa vie, Bourguiba commette l’erreur la moins digeste de toute sa vie: la nomination au poste de Premier ministre d’un certain Zine El Abidine Ben Ali. Celui-ci, fortement soutenu par une poignée de médecins, déposera le Combattant suprême pour incapacité un certain 6 novembre 1987 et le remplacera, dès le 7 à l’aube, à la tête de l’Etat. Durant 23 ans, il régnera avec deux mains de fer sur le pays et réduira au silence tout le monde. Le chômage des jeunes d’une part, la jeunesse très active sur les réseaux sociaux d’autre part, et l’immolation par le feu de Mohamed Bouâziza en prime, rouvriront toutes les plaies et finiront par précipiter la fuite (comme un rat, aurait dit…Kadhafi) du dictateur à l’étranger un 14 janvier 2011.
Issu d’une famille très modeste comptant 11 enfants, Ben Ali a également poursuivi une formation militaire.
Providentiellement servi par l’assassinat d’Anouar Sadate, Hosni Moubarak prend le contrôle des affaires de l’Egypte jusqu’à son élection en tant que nouveau président de la République en 1981. En 30 ans de règne, il amassera une fortune irréelle à la barbe d’un peuple pataugeant sous le seuil de la pauvreté et mènera le pays sous sa baguette dictatoriale. La révolution tunisienne fera l’effet d’un détonateur sur le peuple égyptien qui viendra à bout de son dictateur le 11 février 2011.
Hosni Moubarek est issu d’une famille assez modeste. Il fera lui aussi l’armée de l’air.
Homme futé et très rusé (n’est pas…rat qui veut), dictateur redoutable, têtu et inflexible, Mouammar Kadhafi arrive au pouvoir à la faveur d’un coup d’Etat renversant, le 1er septembre 1969, le Roi Idriss 1er. En 42 ans de pouvoir, il traitera ses sujets de «poussières» et de «rats», les reniera («Qui êtes-vous?!» leur criera-t-il un jour au micro), ne les considérera jamais comme étant des êtres humains, les méprisera et les condamnera au silence, non sans en tuer, au besoin, les récalcitrants. La même Révolution tunisienne qui a fait tomber les deux raïs tunisien et égyptien poussera les Libyens à la rébellion irréversible. Après un mois et demi de lutte acharnée, et des milliers de martyrs, le Guide de la…Révolution du 1er septembre tombera à son tour sous les balles de la seconde Révolution libyenne un certain 20 octobre 2011.
Garçon unique d’une famille bédouine fort modeste de la région de Syrte, Mouammar Kadhafi, entré très en retard au cycle des études primaires, fera également une formation à l’académie militaire.
Perpétuer la domination
A la pauvreté, la cupidité et la carrière militaire, il faudrait ajouter un autre élément, jamais avoué mais perceptible en filigrane, pouvant justifier à lui seul la raison de la dictature et de l’autoritarisme chez les Chefs d’Etat arabes. Pour ne parler, ici, que de l’Egypte, de la Libye et de la Tunisie, il importe de rappeler que ces trois pays ont été colonisés autrefois. L’Egypte était à la Grande-Bretagne ce que la Tunisie était à la France ce que la Libye était à l’Italie.
C’est avec la décolonisation que les auteurs des indépendances se sont sentis les sauveurs de leurs nations –on les a même qualifiés de ‘‘pères de leurs peuples’’. Aussi, est-il sans conteste, à cet égard, que les peuples africains doivent beaucoup à leurs ‘‘pères’’.
Mais il faut signaler tout de suite que Hosni Moubarak n’a jamais été le ‘‘père’’ fondateur de son pays, encore moins son prédécesseur Sadate et surtout pas Mouammar Kadhafi pour la Libye. En survolant très rapidement l’Histoire, on va dire que Jamel Abdel Nasser et Bourguiba ont été les réels pères fondateurs de leurs pays respectifs. Seule différence notable: Nasser a été terrassé par une crise cardiaque le 28 septembre 1970, alors que Bourguiba, jusqu’à ce malheureux 7 novembre 1987, tenait encore au pouvoir qu’il voulait sien à vie. Notre voisine la Libye a eu pour père plutôt Idriss 1er. C’est ce roi qui, en 1940, a levé contre la coalition germano-italienne des troupes combattant aux côtés de la 8ème armée britannique. D’ailleurs, en 1948, la Libye a failli, de nouveau, être partagée entre la France, la Grande-Bretagne et l’Italie; c’est l’ONU qui avait décidé le maintien d’une souveraineté libyenne, ce qui avait fait d’Idriss, le 2 décembre 1950, le premier monarque. Vous connaissez la suite.
Quel a été donc le mérite de Kadhafi pour son pays? A part spolier et infantiliser son peuple, qu’a-t-il fait de bien? Qu’ont fait de bien Sadate et Moubarak pour leur pays? Le premier a hérité du pouvoir à la faveur de la mort de Nasser, le second, à la faveur de l’assassinat de Sadate. Qu’a fait de bien Ben Ali pour la Tunisie à part s’enrichir de manière blasphématoire (lui et les siens) et réduire tout le monde au silence ? Il n’a dû son accession au pouvoir que grâce à une erreur (presque impardonnable) de Bourguiba.
Mais alors, pourquoi sont-ils devenus, une fois au pouvoir, des dictateurs? Il n’y a qu’une seule explication possible. Les Tunisiens, conquis 75 ans par la France, puis reconnaissants à Bourguiba durant 30 ans, ont régulièrement affiché un profil bas. Ben Ali a tout simplement déduit que ce peuple-là est fait pour la soumission et la cravache. Par conséquent, pourquoi ne pas faire perpétuer la domination et se comporter en un dieu unique?! Mais c’était sans compter cette jeunesse qui, à bout de patience et rongée par la frustration et la misère, a fini par hurler: «Tu y es, mais tu n’y resteras plus!», ce qui a donné lieu au magnifique ‘‘Dégage!’’. C’est parce que Ben Ali, aveuglé par son pouvoir, a négligé le fait que cette jeunesse n’a pas connu la colonisation ni très bien Bourguiba, elle n’est donc reconnaissante ni ne peut être soumise à personne! Personne! Et la même erreur a été commise par Moubarak puis par Kadhafi.
Il faut dire que les chefs d’Etat africains (pas Maghrébins) n’ont pas fait mieux, eux non plus. Mais tout de même, il y a deux exemples super beaux!…
Issu d’une famille royale dite Thembu, libéré en 1990 après 27 ans d’emprisonnement, Nelson Mandela préside l’Afrique du Sud en 1994. Deux ans plus tard, il laisse sa place à Thobo Mbiki. Quelle beauté! Mais quelle beauté!…
Père fondateur de la nation, fils d’un commerçant aisé appartenant à l’aristocratie dite sérène, Léopold Sédar Senghor préside le Sénégal durant 20 ans à partir de 1960. En 1980, il démissionne et cède sa place pour s’occuper de poésie dont il est, également, père de la négritude. Quelle beauté! Mais quelle beauté!… Les deux hommes n’étaient ni pauvres ni n’avaient fait de carrière militaire.
Et donc, quatre chefs d’Etat ont eu largement le temps de partir en beauté, de quitter le pouvoir la tête haute, et de finir leurs jours dans leurs propres pays et dans des draps soyeux. Eh non! … Non… Ils ont préféré l’humiliation. Saddam a fini par la pendaison. Ben Ali a dû fuir tel un rat. Moubarak, impotent, a assisté à son propre procès. Et Kadhafi a préféré une fin dans un bain de sang.
Décidément, le pouvoir, pour les Arabes, est une malédiction. Pourvu que cela serve de leçon aux prochains…