«Si j’avais été un ministre dans le gouvernement de transition de janvier 2011, j’aurais essayé de fonder un syndicat pour défendre mes droits», déclare Me Tahar Boussemma, ancien haut fonctionnaire de l’Etat révolté par les mauvais traitements que subissent les hauts fonctionnaires depuis que l’expression est devenue «Libre».
En effet, depuis le 14 janvier, des ministres et hauts fonctionnaires sont des proies attitrées de certains journaux ou sites électroniques qui marchent au sensationnel et ne respectent aucune éthique ou morale. Les violences verbales inadmissibles, les diffamations et les accusations non fondées et quelque fois nourries par des fuites des tribunaux, sans aucun respect pour le secret d’instruction ou le droit de réserve, sont devenues légion.
Personne ne se pose la question si des innocents peuvent être les victimes de la haine et de la sournoiserie de personnes proches et envieuses, ou d’autres qui convoitent leurs postes ou leurs richesses. Nous avons vu des personnes ignorant de bout en bout le pourquoi et comment de certains procès fonçant têtes baissées dans le jeu des médisances sans même se rendre compte qu’elles étaient manipulées et utilisées.
Cela fait 11 mois que cette hystérie dure, il est peut-être temps de stopper l’hémorragie!
Dix ministres sont aujourd’hui en état d’arrestation en Tunisie, précise Me Boussemma. Dix ministres, mis à part ceux qui ont comparu devant les juges d’instruction, qui ont été soumis à l’épreuve des empreintes digitales et des photographies, sans oublier d’autres personnalités harcelées par les médias, pourchassées par les justiciers des réseaux sociaux et les autres interdites de voyage. Soit, si parmi ces individus, il y a des corrompus, des spoliateurs, des traitres, qu’ils soient jugés dans les règles de l’art devant les tribunaux. Un pays comme la Tunisie ne peut souffrir indéfiniment des appels à la haine et des procès tous azimuts. Cela fait 11 mois que cette hystérie dure, il est peut être temps de stopper l’hémorragie!
Nombreux parmi les véritables coupables se sont aujourd’hui achetées une nouvelle virginité et s’acharnent sur les victimes elles mêmes beaucoup plus que sur les bourreaux d’hier jouant aux «Zorro».
Il faut évoluer dans le milieu entrepreneurial et celui des décideurs publics et privés, pour savoir que la plupart de ceux qui crient le plus fort étaient les complices actifs ou passifs d’hier. Ils ne ménageaient pas d’efforts pour se rapprocher des ministres, des parents ou des proches de l’ancien président. Ils n’osaient même pas lever leurs têtes au passage de leurs «Assied» (Seigneurs) se confondant en salamalec et en formules de politesses et de servitudes. Ils sont toujours aujourd’hui à la même place et se reconnaîtront peut-être dans cet écrit…
Afif Chelbi a été la première victime de ces gens-là. Il ne soupçonnait pas leur capacité de nuisance ou de retournement de vestes. Parmi elles, il y en a eu qui se sont attachées, moyennant finances, les services de médias qui battent campagne pour eux et les aident à régler leur compte avec leurs adversaires. Ainsi va la vie, les «pseudo-honnêtes» d’hier sont les honnêtes d’aujourd’hui. Les autres, celles qui sont véritablement intègres et qui essayaient de naviguer dans des eaux réellement troubles cherchant à se frayer un chemin à travers les vagues du clientélisme, des passe-droits et des malversations sont, après la révolution «al Moubaraka», salis par ceux qui ne savent pas ou ceux qui feignent de ne pas savoir. Ils sont en fait très forts dans la dissimulation des vérités. Il y avait dans la Tunisie de 2010 la façade et le gouvernement de l’ombre. Et il est triste que des technocrates réputés pour leurs compétences se retrouvent aujourd’hui en marge de la société parce qu’ils ont traité avec les pires des mafieux.
Que chaque Tunisien éclairé, qui ait un minimum d’honnêteté intellectuelle, se regarde aujourd’hui dans un miroir et reconnaisse qu’il ne savait pas de quoi il retournait dans les couloirs du Palais, ceux des ministères ou des soirées privées. Seul le Tunisien lambda ignorait le degré de corruption de la classe gouvernante, et c’est lui qui se dit aujourd’hui prêt à pardonner. Parmi les leaderships politiques et économiques, rares sont ceux qui ont protesté et en ont payé le prix, la plupart ont ou bien joué le jeu ou sont carrément sortis de l’arène prétextant leur incapacité à nager à contre-courant et préférant se recroqueviller sur eux-mêmes.
«Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre», sages paroles, venant d’un prophète. Et reconnaissons-le, nous avons pêché par notre silence, par notre passivité et même par instinct de survie. «Parmi les hauts fonctionnaires jugés, il y en a qui ont commis des délits et d’autres qui ont appliqué les directives», précise Me Boussemma. Alors pourquoi les traiter tous de la même manière. Depuis l’indépendance de la Tunisie, ce sont toujours les ministres qui ont payé pour les défaillances du système, assure-t-il, qu’il s’agisse de Slaheddine Baccouche et de Mohamed Salah Zmerli, juste après l’indépendance, ou de Tahar Ben Ammar et de Ahmed Ben Salah. Parmi les ministres arrêtés depuis des mois, il y en a encore qui n’ont pas été jugés. «Où sont les organisations pour la défense des droits de l’homme? La période consacrée au questionnement et au jugement doit-elle dépasser celle de la réconciliation?».
Que ceux qui ont trompé dans des crimes crapuleux soient jugés et punis, que ceux qui ont été victimes de leurs faiblesses ou de leurs ambitions -qui ne l’est pas?-, sans pour autant avoir spolié les biens de l’Etat ou ceux d’autrui, soient épargnés.
Tout récemment, Hédi Djilani, président du patronat tunisien pendant plus de 20 ans, demandait pardon à ses concitoyens arguant que «l’amour de la Tunisie doit être plus fort que la haine», reconnaissant ses erreurs et rappelant que tous les Tunisiens ont commis des erreurs. Erreur ne rime pas avec malversations, la justice l’a blanchi… C’est un acte de courage.
Doit-on indéfiniment tenir rigueur à Hédi Djilani de ces erreurs et lui en vouloir au point de l’accuser de tous les maux et de lui coller toutes les tares de l’ancien régime?
Le pardon est une qualité des dieux. Le pardon n’est pas facile à accorder et c’est cette capacité à pardonner qui nous protège nous autres humains de l’amertume, de l’aigreur et de la méchanceté. Réconcilions-nous avec nous-mêmes et surtout avec notre Tunisie pour avancer sur le chemin de l’édification et de la construction.