Tunisie : Les quinze jours les plus longs d’Ahmed Friaa (1)

ahmed-friaa-1.jpgL’ancien ministre de l’Intérieur a raconté, samedi 29 octobre à la Fondation Temimi, par le menu les deux semaines passées à ce poste. Pour l’histoire.

«J’ai servi mon pays pendant près de trente ans à divers postes, mais c’est comme ministre de l’Intérieur -pendant seulement quinze jours, que l’on parle le plus de mois». Plus que l’étonnement, c’est une certaine amertume qu’on perçoit chez Ahmed Friaa. Huit mois après, l’ancien ministre de l’Intérieur est encore marqué par cette courte mais oh combien traumatisante parenthèse!

Le plus dur à supporter pour lui n’est pas tant de devoir comparaître devant la justice pour répondre de sa gestion durant ces deux semaines –l’ancien ministre affirme faire confiance à la justice tunisienne-, que les attaques subies après sa malheureuse conférence de presse du 17 janvier 2011.

Déterminé –tout en renouvelant ses excuses à tous les Tunisiens qui, de bonne foi, ont mal compris ses propos- à ne pas laisser le «manteau du mensonge recouvrir la vérité», M. Friaa a donc accepté l’invitation d’Abdeljelil Temimi à venir témoigner pour l’histoire, dans le cadre de la Fondation Temimi.

La vie d’Ahmed Friaa bascule le 12 janvier 2011. Ce jour-là, l’ancien président l’appelle au téléphone pour lui proposer le portefeuille de l’Intérieur. Et il accepte. Ses amis reprocheront à cet universitaire qui «ignore tout des questions sécuritaires», d’avoir accepté cette offre et se demandent pourquoi a-t-il alors accepté «d’assumer une responsabilité difficile dans une période délicate»?

Selon Ahmed Friaa, plusieurs raisons l’ont poussé à accepter de réintégrer le gouvernement en ce moment particulièrement difficile de l’histoire de la Tunisie parmi lesquelles ne figure pas l’amour du pouvoir. «Après ma sortie du gouvernement, on m’a proposé plusieurs postes, dont celui d’ambassadeur de la Tunisie aux Nations unies à New York, et je les ai tous refusés», se défend-t-il.

D’abord, si cet universitaire n’a pas décliné l’offre, c’est parce qu’ayant été «élevé dans une famille de militants –mon frère fournissait des armes aux combattants tunisiens contre l’occupant français», il perpétue en quelque sorte la tradition. Ensuite, Ahmed Friaa est revenu au gouvernement de promesses bien précises.

«Ben Ali m’a annoncé qu’il allait exclure ceux –notamment Abdelaziz Ben Dhia et Abdelwaheb Abdallah- qui, d’après lui, l’ont induit en erreur, qu’il avait l’intention de mener de profondes réformes politiques et économiques, et qu’un universitaire intègre prenne les commandes du ministère de l’Intérieur et l’aide dans ce chantier».

N’a-t-il pas été un peu naïf, comme le lui ont reproché certains de ses amis, en prenant pour de l’argent comptant les promesses d’un Ben Ali à qui il était déjà arrivé d’en faire par le passé, notamment le 7 novembre 2011?

L’ancien ministre ne le croît pas. Selon lui, Ben Ali n’avait plus d’autre choix que l’ouverture. D’autant que «les troubles de décembre 2010 ont duré plus que par le passé et se sont progressivement étendus à toutes les régions du pays», ce qui les rendait «difficiles, voire impossibles à maîtriser».

Et si son analyse devait s’avérer fausse, l’éphémère ministre de l’Intérieur s’était promis en son fort intérieur qu’il pouvait de nouveau claquer la porte. «Je m’étais donné une semaine au bout de laquelle j’aurais démissionné si les promesses faites ne sont pas tenues», assure-t-il.

Nommé le 12 janvier à 11heures, Ahmed Friaa prend ses fonctions quatre heures plus tard, à quinze heures.

Il se fait aussitôt remettre l’organigramme du ministère pour en comprendre l’organisation et le fonctionnement et programme pour le lendemain des entretiens d’une demi-heure avec chaque directeur général. Mais il devra, à la demande de Ben Ali, passer la première partie de la journée à la Chambre des députés et à la Chambre des conseillers pour en informer les membres –après un discours du Premier ministre, Mohamed Ghannouchi- de la situation dans le pays.

De retour au bureau, Ahmed Friaa ordonne à son cabinet de commencer à travailler à l’élaboration d’un décret interdisant les tirs à balles réelles contre les manifestants. Alors qu’il faut d’habitude près de deux semaines pour cela, le texte sera prêt le 14 et signé le lendemain.

Ce ne sera pas la seule initiative d’Ahmed Friaa. En effet, il a également, et en seulement deux semaines, fait délivrer près de 3.000 passeports à des Tunisiens résidents à l’étranger qui le demandaient, mis sur pied une commission chargée de réviser l’organigramme et les statuts des forces de sécurité intérieure, et entamé des contacts avec des pays ayant réussi dans la formation des agents de l’ordre pour qu’ils aident la Tunisie à en faire une force au service de la collectivité nationale et non plus d’un petit groupe, et publié un arrêté sur les écoutes sans autorisation de la justice.

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