L’ancien ministre de l’Intérieur a raconté, samedi 29 octobre à la Fondation Temimi, par le menu les deux semaines passées à ce poste. Pour l’histoire.
En fin de journée, le ministre de l’Intérieur écoute, comme tous les Tunisiens, le –dernier- discours de Ben Ali. Trop peu, trop tard est le commentaire qui lui vient à l’esprit. «Certains ont bien accueilli le discours, mais outre qu’il est venu un peu tard, il y manquait des preuves tangibles des bonnes intentions».
Le lendemain, 14 janvier, les manifestants commencent à se rassembler devant le ministère de l’Intérieur. Parmi eux, Jalloul Azzouna et Radhia Nasraoui qui réclame la libération de son mari, Hamma Hammami. A 9h30, Ahmed Friaa reçoit un appel du président et l’informe de cette demande et plaide en sa faveur. «Il faut pour cela une transaction», répond Ben Ali, autrement dit que le chef du POCT aide à l’apaisement de la situation dans le pays.
Déçu, Ahmed Friaa appelle le Premier ministre pour lui demander d’essayer de convaincre le chef de l’Etat, mais Mohamed Ghannouchi lui répond qu’«on ne peut pas le convaincre». Le ministre de l’Intérieur décide alors de passer outre le véto de Ben Ali et libère le chef du POCT.
Craignant un dérapage, le ministre appelle plusieurs personnalités politiques et de la société civile –notamment Mokhtar Trifi, président de la LTDH, Aberrazek Kilani, président de l’Ordre des Avocats, Ahmed Néji Chebbi, leader du Parti Démocratique Progressiste (PDP), Abdessalem Jrad, secrétaire général de l’UGTT, etc.- pour leur demander de donner consigne à leurs partisans et membres de ne pas essayer de prendre le ministère de l’Intérieur d’assaut, contre la garantie qu’aucun manifestant ne sera touché.
A midi trente, nouvel appel de Ben Ali –le dernier au ministre de l’Intérieur- pour informer Ahmed Friaa qu’il avait décidé de charger le général Rachid Ammar d’assurer la coordination entre les forces de sécurité intérieure et l’armée. Le chef d’Etat major de l’armée de terre arrive au ministère de l’Intérieur vers 15h30. Les deux hommes tombent d’accord sur le fait qu’«un problème politique se règle de manière politique».
Au même moment arrive une communication téléphonique par laquelle le ministre de l’Intérieur apprend qu’un commando a pris le contrôle de l’aéroport et détient plusieurs membres de la famille de l’épouse de Ben Ali, Leila Trabelsi. Pour tirer l’affaire au clair, le directeur général de la Sûreté nationale est dépêché sur les lieux. Mais à ce jour, Ahmed Friaa ne sait pas si Samir Tarhouni qui a mené cette opération a agi de son propre chef, comme il l’affirme –notamment le 16 janvier, devant le ministre de l’Intérieur et le chef d’Etat major de l’armée de terre-, ou s’il a reçu un ordre.
En fin d’après-midi du 14 janvier, les deux hommes apprennent que Ben Ali a quitté le pays. Décision est prise pour la tenue d’une réunion des principaux responsables -Premier ministre, ministres de la Défense, de l’Intérieur, directeur général de la Sûreté nationale et directeur de la Sûreté militaire- à 21 heures au siège du ministère de l’Intérieur pour faire le point de la situation. Une réunion qui va achever de faire basculer les choses dans le pays.
Les participants, se rappelle Ahmed Friaa, sont unanimes pour estimer l’utilisation de l’article 56 de la constitution –qui parle d’empêchement provisoire du chef de l’Etat- «est illogique». C’est ainsi qu’on passera rapidement à l’article 57, prévoyant l’accession du président de la Chambre des députés au poste de chef de l’Etat.
Vers vingt-deux heures, nouvel appel de Ben Ali à Mohamed Ghannouchi pour demander «s’il peut rentrer aujourd’hui ou demain». Le Premier ministre recouvre le combiné de sa main pour informer les présents de la demande de l’ancien chef de l’Etat. Et tous «répondent unanimement qu’il est hors de question qu’il revienne car il va provoquer un bain de sang dans le pays». Ordre est aussitôt donné au commandant de l’avion ayant emmené Ben Ali et sa famille en Arabie Saoudite de rentrer en Tunisie. Ce sera le coup de grâce pour Ben Ali.
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