Quatre jours, quelquefois moins, pour rentrer au pays vivre la fête de l’Aïd El Idha en famille. C’est le lot de millions de Tunisiens. Tout se fait vite. Y compris l’acte d’égorger le mouton et le décortiquer. En payant, de plus, le prix fort.
Jeudi 3 novembre 2011, 15 heures 30, dans une rame du métro de la ligne 4 qui relie le Campus universitaire de La Manouba à la Place Barcelone, à Tunis. Ezzeddine et Montassar, tous deux étudiants à l’Ecole Supérieure de Commerce (ESC, échangent des réflexions sur le retour du championnat national de football prévu pour le lendemain vendredi 4 novembre.
Tee-shirt noir hors du jean et tennis aux pieds, Ezzeddine est un fervent supporter de l’Olympique de Béja qui défend ses chances face à la Jeunesse Sportive Kairouanais (JSK). Monatssar n’est pas très tranquillisé sur l’issue de la rencontre: la JSK n’est pas un adversaire facile d’autant plus que son club préféré devra faire un déplacement dans la capitale des Aghlabites.
Mais très vite, la discussion vire sur le trajet qu’ils vont faire ensemble jusqu’à Béja. Le train est pour 18 heures 20. Et Ezzeddine et Montassar prient pour qu’ils aient une place assise dans le train. «On pourra toujours, comme la dernière fois, s’associer sur nos bagages», glisse avec un large sourire Ezzeddine qui arbore une grande valise. Les rires se succèdent.
Se contenter d’une place debout
Les pas de nos deux étudiants également. Arrivés à la station des trains à la place Barcelone, ils vont aux nouvelles et se rendent très vite compte que leur vœu sera exaucé. Un contrôleur béjois leur annonce que «le train n’est pas aussi plein que ça». L’espoir est donc permis.
Ezzeddine et Montassar n’iront pas aux cours prévus vendredi. Le programme de la journée de vendredi comprend un cours en amphithéâtre et un TD. «Il n’y a vraiment pas de quoi s’inquiéter», souligne Montassar. «Il n’y a pas de présence obligatoire pour les cours en amphithéâtre. Quant au TD, le professeur a été averti de notre absence. J’espère qu’il ne nous comptera pas absents», ajoute-t-il.
Samedi 5 novembre 2011, 11 heures, à la gare routière de Bab El Falaâ. Tijani, 23 ans, étudiant en commerce international, au Campus El Manar de Tunis, n’a pas eu la même chance. Il a trouvé certes une place dans le bus de Kairouan. Mais il devra se contenter d’une place debout.
Dimanche 6 novembre 2011. C’est à 6 heures du matin que Tijani s’est réveillé pour se préparer à aller à la Grande mosquée de la ville de Kairouan. Il faudra presser le pas pour éviter de s’installer dans le patio. Souffrant d’un lumbago, il souhaite s’adosser à une colonne de la Grande mosquée. La prière d’Al Aïd El Idha est un moment fort de la journée.
Outre l’activité des mosquées, la vie tourne au ralenti dans la ville. Les cafés, les boulangeries et les débits de tabac, sont fermés à double tour. Impossible donc d’acheter un journal. «Les journaux ne prévoient pas de livraison aujourd’hui», constate un passant à Bab Tounès, une des artères les plus animées de la ville.
50 dinars pour égorger et découper un mouton
Le silence de la ville est interrompu par les hurlements des bouchers qui sillonnent la ville dans tous les sens. Khalifa, rencontré dans le quartier Mohamed Ali, est de ceux-là. Veste de survêtement et bleu jean, il promène sa motocyclette et son couffin dans lequel il a placé quelques couteaux et une hache de boucher.
Employé dans une boucherie de Kairouan, il espère pouvoir se faire beaucoup d’argent. «Au moins mon salaire: 500 dinars», affirme-t-il. Pour cela, il lui faut égorger au minimum dix moutons. «Ce qui est bien dans mes cordes», assure-t-il. Les prix en la matière ont suivi ceux du mouton. Il faudra 50 dinars pour égorger et découper un mouton.
Khalifa souhaite également gagner du temps. Il scrute le moindre appel, ralentit ses pas et s’arrête même quelquefois pour s’assurer que personne n’a fait appel à lui. Et lorsqu’il «décroche» un client, il fait le plus vite possible en pensant au prochain mouton. Il ne s’attarde pas pour discuter avec le maître des lieux. Encore moins pour boire un café ou un thé.
Lundi 7 novembre, 10 heures. Une petite queue se forme devant le magasin de «makrouth» à la périphérie de la ville, à Kairouan, sur la route de Sousse. La cinquantaine, Hamdi se presse pour payer ses deux kilos de makrouth. «Histoire de ne pas rentrer les mains vides à son agence d’assurances à Sousse. Le makrouth, ses employées en raffolent».
Arrivé une heure plus tard à Sousse, Hamdi souhaite aller vite avaler un café sur la Corniche. Il ne veut et pour rien au monde rater l’occasion de rencontrer ses amis. Kairouanais de souche, il a été amené à s’installer, il y a près d’une vingtaine d’années, à Sousse. Il épouse, au sortir d’une maîtrise en droit, une camarade de promotion originaire de Msaken, ville située à 9 kilomètres de Sousse. Et choisit de trouver un travail. C’est fait dans une entreprise de bâtiment. Avant de s’engager dans une compagnie d’assurances. Et d’y obtenir au bout de 10 ans de bons et loyaux services le statut d’agent général.
Le soir, il ira à Msaken dans sa belle famille. Il ne manquera pas, cela dit, de faire un détour par le cimtière de la ville. Pour aller réciter une Fatiha sur le tombeau de son beau-père. Un homme pieux et droit qu’il n’a pas connu –il est mort bien avant son mariage-, mais qui est dans la mémoire de tous les membres de sa belle-famille. A commencer par celle de son épouse.