Après la chute du bloc de l’Est, le rôle de la Turquie est devenu stratégique pour les Américains. Elle semble avoir pour mission le soutien d’Israël dans un climat de plus en plus instable dans le Moyen-Orient. Mais la guerre d’Irak de 2003 est venue bouleverser cet ordre.
L’aide américaine en faveur d’un Kurdistan indépendant a été mal acceptée par l’état-major turc qui s’est mis à soutenir les islamistes de l’AKP pour unifier le pays et se rapprocher de la Syrie et de l’Iran.
A partir de 2006, la Turquie entre dans une crise avec Israël suite à une multiplication d’incidents diplomatiques. Les islamistes turcs dénoncent la guerre menée en Palestine et légitiment le combat du Hamas contre l’armée israélienne. En 2009, alors que la Bande de Gaza est bombardée par Israël, le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, saisit l’occasion du Forum économique mondial de Davos pour s’en prendre publiquement au chef de l’Etat israélien, Shimon Peres. Cet incident a augmenté la popularité des Turcs dans les opinions arabes, et le ministre turc des Affaires étrangères n’a pas raté l’occasion pour affirmer que son pays est le protecteur des peuples musulmans, du Maroc jusqu’en Arabie Saoudite, comme à l’époque de l’Empire ottoman.
On constate ainsi que la Turquie d’Erdogan a choisi, en un sens, de tourner le dos à l’Occident au profit du leadership de l’espace politique islamique du Moyen-Orient. De ce fait, la Turquie est passée du statut de «sentinelle de l’Occident» à celui d’acteur indépendant sur la scène internationale.
Les révoltes dans le monde arabe viennent bouleverser cette nouvelle politique. Ces évènements sont très positifs pour la Turquie. En effet, la chute de Ben Ali en Tunisie a permis le retour des islamistes du parti d’Ennahdha, très proche de l’AKP turc. Dans la presse européenne, on vante le modèle de «démocratie musulmane» turque. Ce climat favorable était propice à la Turquie pour qu’elle joue le rôle d’un intermédiaire incontournable à la résolution des conflits sur la scène orientale. Dans ce dessein, la Turquie mise sur une politique étrangère néo-ottomane et un repositionnement géostratégique d’envergure. On pourrait penser que ce repositionnement est une conséquence du refus européen à son adhésion à la zone euro, d’une part, et suite à la chute de l’URSS et la fin du nationalisme arabe vers les années 90, d’autre part.
En effet, avec la faiblesse du bloc arabe qui se dispute le leadership (Égypte, Arabie saoudite et Syrie) et l’échec du projet US du “Grand Moyen-Orient“, nous avons enregistré un retour remarquable de la Turquie sur la scène régionale qui s’est marqué récemment par une visite triomphale de Recep Tayyip Erdogan en Égypte, Tunisie et Libye. Partout, le Premier ministre turc s’est posé en protecteur et bienfaiteur du monde musulman.
Le retour de la Turquie dans la sphère d’influence de l’ancien Empire ottoman (l’Orient, la Méditerranée et même l’Afrique) était bien marqué. Dans sa visite en Egypte, leur grande rivale en Méditerranée, Erdogan était accompagné de plus de 250 chefs d’entreprise. Les Turcs veulent confirmer leur suprématie en tant que première puissance tutélaire musulmane, de Gibraltar au Bosphore.
Enfin, durant sa visite en Tunisie, Erdogan a déclaré que l’islam et la démocratie n’étaient pas contradictoires. Pour lui, un musulman peut gérer un Etat avec beaucoup de succès. A l’issue de son entretien avec son homologue tunisien, Béji Caïd Essebsi, il a insisté sur le fait que la réussite du processus électoral en Tunisie va montrer au monde que la démocratie et l’islam peuvent aller ensemble. Cette visite, à un mois des élections, n’était pas un pur hasard mais plutôt un message qu’a voulu transmettre Erdogan en direction de l’opinion publique pour qu’elle ne craigne pas le parti d’Ennahdha. (Pari presque gagné, au vu des résultats, NDLR).
Cette conjoncture favorise ce retour turc que l’on pourrait qualifier de «néo-ottomanisme» en ce début de XXIème siècle avec des régimes islamistes pro-turcs en Tunisie, en Egypte et en Libye. Ce qui ouvre un grand débat au sein de nôtre société sur les bienfaits de ce nouveau courant et les solutions qui peuvent être apportées sur le plan social et économique. D’un autre côté, il faut s’interroger sur l’acceptation d’une hégémonie turque par un peuple qui a fait une révolution démocratique pour chasser la dictature.