Vers une nouvelle culture du dirigeant post révolutionnaire et de l’entreprise tunisienne du XXIème siècle

Jamais l’entreprise n’a été aussi centrale qu’aujourd’hui. L’avenir de la
Tunisie, le progrès socioéconomique et la création d’emplois en dépendent et en
sont les principaux corolaires. Après la révolution du 14 janvier, dans un
contexte de chômage aigu et de récession, on pouvait s’attendre à ce que nos
entreprises, créatrices de richesses et d’emplois, soient choyées et hissées en
haut du podium. Paradoxalement, il n’en est rien. Pire encore, jamais
l’entreprise et ses dirigeants n’ont été autant pointés du doigt, autant
incriminés, avec ce que cela a pu avoir comme conséquences destructrices tant
pour l’entreprise que pour les employés eux-mêmes. Contre toute attente,
l’entreprise, espace de socialisation par excellence, s’est ainsi retrouvée dans
l’épicentre de cette lame de fond révolutionnaire, pour devenir même le siège
favori des revendications, des récriminations et des violences.

Est-ce là le signe d’une inconscience collective? Une volonté de revanche des
syndicats qui usent de leur pouvoir pour manipuler la masse allant jusqu’à jeter
le bébé avec l’eau du bain ! Ou, est-ce là un signal fort de rupture, un refus
inconditionnel de la gouvernance des entreprises telle qu’elle s’exerce
aujourd’hui?

En fait, durant ces derniers mois, si les dérapages ont été fréquents, il n’en
demeure pas moins que les dirigeants dont le management a respecté des principes
éthiques, des principes de concertation sociale et une politique RH éclairée ont
pour la plupart tiré leur épingle du jeu et de surcroit, ont vu parfois leur
entreprise protégée par les salariés eux-mêmes.

Alors, dans cette étape historique, à la fois risquée et douloureuse mais aussi
pleine d’espoir, nous sommes tentés d’accueillir ces réactions comme des
messages de bonne santé, comme des désirs de vivre et travailler autrement,
d’assister à la renaissance de l’entreprise tunisienne, de voir naître un nouvel
entreprenariat et une nouvelle lignée de dirigeants plus conscients des nouveaux
enjeux et équilibres, plus transparents et résolument enclins au dialogue social
et au management participatif.

Toute la question est de savoir si nos dirigeants d’entreprises et nos
entrepreneurs seront prêts à relever les défis de ce changement inéluctable
exigé par le nouveau contexte postrévolutionnaire de la Tunisie. Changement de
vision, changement de valeurs, de mode opératoire, de relation au quotidien, un
processus, qui requiert en amont une transformation personnelle du dirigeant,
fruit de sa profonde conscience quant à la nécessité de changer et de sa propre
volonté de se remettre en question.

Cela nous amène inévitablement à la question cruciale de la formation, la
formation des dirigeants eux même, leur formation au vrai métier de dirigeant:
celui de visionnaire stratège, qui sait fixer le cap, fédérer et mobiliser les
personnes, donner l’exemple, et enfin et surtout, jouer son rôle d’animateur
transformationnel qui sait initier et conduire le changement.

C’est pourquoi au
CJD, nous plaçons la formation au cœur de notre mission,
convaincus que nous sommes, que, diriger est un métier qui s’apprend! Qui
s’apprend par la formation aux aptitudes indispensables pour exercer
efficacement ce métier, mais aussi par la réflexion, l’échange et
l’expérimentation qui facilitent la métabolisation et l’appropriation de cet
apprentissage.

Outre la formation tout au long de la vie, le CJD, nous le rappelons, défend un
principe fondamental, celui d’une économie au service de l’Homme, une vision de
la gouvernance de l’entreprise qui place l’humain au cœur de toutes les
préoccupations. Ce concept qui depuis la naissance du CJD en 1938 n’a connu
aucune ride, se cristallise aujourd’hui autour d’une idée encore plus forte,
celle de la performance globale, qui conjugue harmonieusement l’économique, le
social, le sociétal et l’environnemental pour donner du sens à l’entreprise, du
sens à la vie et du sens à notre combat au quotidien.

Cette philosophie de l’entreprise constitue la pierre angulaire du mouvement
international du CJD. Ce réseau des réseaux qui a vu le jour en mars 2010 et qui
compte aujourd’hui 12 pays consacre précisément sa mission à la promotion du
concept de la performance globale afin que l’entreprise du XXI siècle, soit
autant à Paris, à Casa, à Québec ou à Tunis une entreprise responsable,
solidaire et durable.

Enfin et compte tenu de l’importance des enjeux actuels en Tunisie, nous sommes
tentés de dire que perfectionner et recycler les aptitudes des dirigeants,
parfaire leur formation et les initier au concept de la performance globale est
aujourd’hui crucial pour notre pays. En effet, ces personnes qui constituent le
haut de la pyramide sont censées être les véritables vecteurs démultiplicateurs
du changement. Aussi, dans le contexte actuel, est-il stratégique pour notre
société de commencer tout d’abord par « mettre à niveau » ces locomotives afin
de provoquer au plus vite les changements contagieux, les plus positifs qu’ils
soient, à toutes les échelles managériales de l’entreprise et, partant, réaliser
un gain de temps considérable pour notre économie. En conséquence, il serait
pertinent que l’Etat place la formation des dirigeants et managers, tant publics
que privés, en haut de son agenda.

Autant dire tous à l’école, ou plutôt tous au CJD!

* président du CJD 2009-2011