Il est parmi les plus fervents sponsors du programme NAPEO, et ce qui le fait courir, c’est l’objectif de voir le programme américain «North Africa Partnership for Economic Opportunity» devenir un catalyseur de start-ups tunisiennes, cette souche d’entreprises qui peut véhiculer le nouveau modèle économique pour le pays.
WMC : Qu’est-ce qui vous a motivé pour sponsoriser les journées de rencontre des représentants de NAPEO avec les jeunes promoteurs tunisiens de projets innovants?
Mondher Khanfir : Je dois rappeler que j’ai assisté au lancement du projet NAPEO, l’an dernier à Alger au début du mois de novembre 2010. Ce projet global, représenté par un Local Advisory Board dans chacun des trois pays, le Maroc, l’Algérie et la Tunisie, avait été initié à l’époque par José Fernandez, sous-secrétaire au Département des Affaires étrangères chargé des affaires économiques. En toute bonne foi, ce qui m’a motivé est la dynamique qui sous-tend la vision du projet. Le programme entend développer les flux d’échanges économiques depuis et vers les Etats-Unis avec les trois pays du Maghreb. Et la composante essentielle de NAPEO, c’est qu’il entend activer l’intégration économique des trois pays de la région. L’Afrique du Nord pourrait se doter d’un effet de base avec un socle économique pouvant disposer d’une taille critique. Je dois préciser que beaucoup de membres qui constituent la délégation de NAPEO sont originaires des pays de la Région ou de la diaspora arabe en général.
Les initiatives américaines de ce genre, ou qu’elles se révèlent peu productives ou qu’elles tournent court, la dernière en date étant «Eizenstatt Initiative». Vous avez grand espoir dans NAPEO?
Au risque de me répéter, l’état d’esprit véhiculé par NAPEO va au fond des choses. Tout en étant une initiative publique, il privilégie d’abord les passerelles entre les forces vives des deux bords dont celui entre milieux d’affaires. Je ne sais pas si NAPEO ira plus loin que les autres. Tout ce que je sais c’est que derrière le rapprochement global voulu par les USA, se développeront les échanges économiques. L’originalité de NAPEO est que l’essor en question ne sera pas l’œuvre d’un quelconque pouvoir mais sera porté par les opérateurs eux-mêmes. Je constate que NAPEO, en soufflant sa première bougie, génère déjà une première moisson de prix à des lauréats d’une souche particulière dont a précisément besoin notre pays, à savoir les start-ups. Et c’est peut-être là le focus de ces journées de rencontres.
La délégation NAPEO qui a visité la Tunisie du 27 octobre au 2 novembre est composée de personnalités importantes. Que vous ont-elles apporté, in fine?
J’insiste pour rappeler que les membres de la délégation sont des gérants de fonds d’investissements et des gérants de start-ups, les uns et les autres, exerçant principalement sur le terrain de l’innovation. Ce sont des gens qui ont laissé ménage et travail pour venir partager des moments d’échanges et d’entretiens avec nos jeunes promoteurs. Et je vous garantis qu’ils leur ont transféré du know-how et du Knowledge, c’est-à-dire du savoir-faire et des connaissances. Un des principaux enseignements de ces journées est qu’elles ont montré que l’on peut transplanter l’environnement institutionnel qui a fleuri aux Etats-Unis au service de la start-up innovante. L’évocation du modèle de réussite américain nous a beaucoup instruits sur le mode d’appui à apporter aux start-ups.
Pour transposer un dispositif d’encadrement des start-ups, suffit-il d’un tour d’implémentation?
Il faut aller bien au-delà, je pense. J’aimerais d’abord revenir au concept de start-up pour rappeler qu’il a été mis sur pied par les Américains. Pour faire court, on peut le schématiser par un processus qui transforme le savoir en valeur. Et plus l’idée de départ comporte de savoir, plus les chances de développement et de réussite sont importantes. J’ajouterais que ce concept a besoin de maturer pendant une période d’incubation. Et cette première étape d’incubation est une épreuve décisive, car c’est l’étape où, par négligence ou impréparation, on peut tuer l’idée. Les Américains l’appellent la «No Capital Death Valley», la vallée de la mort. Elle représente la traversée du désert des promoteurs démunis de ressources mais porteurs d’une innovation. Et, croyez-moi, pour la traverser, il faut avoir une idée et qu’il faut s’armer surtout d’ambition et d’énergie.
Si je vous comprends bien vous êtes en train de m’expliquer que c’est encore plus éreintant chez nous?
Pour abonder dans votre sens, je dirais que chez nous les jeunes promoteurs de projets traversent un cursus de triple vallées de la mort, la «No Information Death Valley», la «No Capital» et la «No support». Ces étapes correspondent à des «No Men’s Lands». Je ne noircis pas le tableau mais c’est notre réalité. Car, quand bien même vous avez assez de détermination, ces No Man’s Land ne sont pas du tout en phase avec les attentes des jeunes.
Souad Rouis, gérante d’un projet d’agrotechnique, a reçu le premier prix «High Potentiel» de NAPEO alors que nos capital-risqueurs ne l’ont pas assistée comme il conviendrait. Chez nous, je vois que l’appui va plus aux entreprises et groupes bien établis, c’est-à-dire ceux qui ne manquent pas de moyens, et néglige les start-up. Or, ces dernières constituent l’ossature d’un projet comme le Fonds générationnel Ajyal. C’est la souche qui peut incarner le nouveau modèle économique dont le pays a besoin.
Je connais des entreprises qui ont pignon sur rue et qui en sont à leur énième programme de mise à niveau. En bonne logique, les subventions de l’Etat seraient plus utiles pour les start-ups. Souad Rouis, gérante de bio Tech produit des milieux anti gênes qui permettent de faire des diagnostics vétérinaires. Vous pouvez réaliser ce que ce projet peut apporter à l’agriculture du pays. Souad Rouis va pouvoir partir s’installer pendant trois mois à la Techtown de Detroit et pourra lever des fonds aux Etats-Unis. Mon seul espoir est qu’elle n’oublie pas la Tunisie.
Le «Brain drain», on y est pour quelque chose. J’enchaîne avec les prix et je rappelle que le deuxième «High Potential» a été attribué à Nizar Menzli, promoteur de Ibex pour son décodeur TV qui se connecte sur Internet. Les membres de NAPEO lui ont certifié qu’il s’agit d’une innovation planétaire. Imaginez un peu l’enjeu d’un tel projet. Pareil pour le troisième lauréat, Ahmed Nabli, et toute son équipe, pour avoir mis au point un stylo électronique, qui peut projeter sur n’importe quelle surface plane. Ahmed Nabli est ergo-thérapeute et enseigne aux handicapés, et avec ce stylo IT, il peut écrire sur un tableau constitué d’une simple surface murale, avec toutes les facilités que peut offrir un screen de PC.
Comment étaient organisées les journées de contact entre les membres de NAPEO?
Les journées étaient partagées entre deux moments clés. Le pitching et le mentoring. En séance de pitching, le jeune promoteur doit présenter son idée et la visualiser aux membres du Jury de sorte à pouvoir les convaincre de sa viabilité et de son apport d’innovation. Alors qu’en séance de mentoring, «Accès au marché» et «Accès aux finances», le jeune promoteur doit dérouler les principales étapes de son business plan, c’est-à-dire son modèle économique. Là, on quitte le domaine de l’innovation pour tester les capacités managériales du jeune. Et à la suite des séances de contact, il y eut les fameux awards que nous avons contribué à sponsoriser. Au total, vingt projets étaient en compétition pour trois secteurs, IT, Bio tech et agro-business. Quatorze étaient dans la catégorie corporate, étant en phase de démarrage et génèrent déjà un chiffre d’affaires. Six autres sont en catégorie «Youth», disons en attente d’être packagés. Je sais que Ibex est en phase de prototypage. Il a gagné six semaines de formation chez nous à Wi Ki Start Up, pour finaliser son business plan avec notre concours propre. Ahmed Nabli, pour sa part, a gagné, avec son équipe, un mini MBA chez MSB.
Les membres américains ont dit deux choses importantes : la Révolution a resitué la Tunisie sur la carte du monde et que les jeunes tunisiens sont doués. Entre les propos convenus et le satisfecit sincère, quelle part de vérité?
Je leur laisse la responsabilité de leurs propos. Toutefois, pour ce qui est du «mordant» des jeunes promoteurs tunisiens, je souscris totalement. Et je constate, à regret, que les Tunisiens qui possèdent une réelle compétence ont plus de chances de réussir à l’étranger qu’en Tunisie car il n’y a pas de marché pour l’innovation, chez nous.