Après l’euphorie des élections du 23 octobre 2011, les slogans populistes des uns et des autres, les surenchères politiques, qui caressent au sens du poil les électeurs crédules, et le triomphe sans appel du mouvement islamiste Ennahdha, la prochaine coalition gouvernementale, issue de l’Assemblée constituante, aura à faire face aux dures réalités économiques du pays. A la déprimante actualité des débordements révolutionnaires. Au champ magnétique des exigences sociales. A l’indignation plébéienne. A la foule, régulièrement insurgée et émeutière. A l’égalitarisme, qui fait tourner un carrousel de rêves. A la dislocation des disciplines. A la clochardisation des rues. Aux préjugés. Aux doléances. Au chômage. Au scepticisme ambiant. Au monde de l’ingérence, qui n’est pas une panacée, mais un prolongement fidèle du monde de la géopolitique réelle, avec ses rapports de forces et ses luttes d’influences… Bref, autant de diables qu’on tire par la queue.
Le principal menu de Hamadi Jebali, l’homme fort du nouvel exécutif en gestation, sera sans aucun doute les emplois de demain, l’investissement, la recherche de la reprise, le rétablissement de la confiance, le développement des régions intérieures et l’intégration des jeunes diplômés de l’enseignement supérieur dans le circuit économique.
Mais où trouver les relais de la croissance? Les financements? Les crédits? Comment remédier à la dégradation de notre cotation? Peut-on aborder des réformes dans un contexte révolutionnaire? Dans un laps de temps aussi court? Car l’heure est grave. Le pays danse sur un volcan. Et les liens sociaux sont lacérés par l’ensauvagement de la misère.
Eh oui ! C’est fini l’entraînement, le vrai match va commencer maintenant. N’en déplaise aux démagogues, aux slogans nunuches, le capital national et international est la clé de la sortie de crise. Il faut le sécuriser. Le séduire. L’encourager. Dans un monde de plus en plus brutal et concurrentiel. Cela exige de ne pas se cacher derrière son petit doigt et de prendre ses distances avec les idéologies. Les lectures partisanes. Afin de ne pas entrer en conflit avec la réalité. Qui est là. Vent debout. Déclinant 0,5% de croissance pour l’année 2011. Une annus horribilis sur le plan économique. Avec 6% de déficit budgétaire. Sans reprise au plus vite de la machine productive, le pays court de grands risques. Du jamais vu dans l’histoire nationale. Les consommateurs tunisiens risquent d’être sur la paille.
L’Etat tunisien sort de dix mois de tumultes et de passions, agrandi, mais exsangue. Fatigué. Ebranlé. Groggy. On n’a pas réussi à le mettre K.O. Seulement, face au galop des événements, il aspire maintenant à une trêve. Pour créer, dans le pays, un climat propice à l’initiative privée. Favoriser une phase allante. Se dégager de la gangue de l’étatisme. Gagner la bataille résurrectionnelle. Mettre le curseur au bon niveau. Car le monde n’est plus le royaume de Dieu, mais un véritable champ de bataille.
Il appartient au mouvement Ennahdha et ses alliés au sein de l’Assemblée constituante de réamorcer coûte que coûte la croissance, d’en finir avec le parasitisme, d’équilibrer les compromis, de limiter l’endettement, d’essayer toutes les manettes, de réduire le champ des incertitudes, d’éviter la balourdise idéologique des vainqueurs, de mixer les idées, de former de nouvelles alliances sur les sujets les plus divers, de restreindre la gamme potentielle des conflits d’intérêts, de combiner l’esprit de religion et l’esprit de liberté, de proposer une dynamique de confiance à la société tout entière, de tout peser, tout balancer, tout maîtriser au milieu de tant d’intérêts et de passions contradictoires. Sans antagoniser les autres acteurs de la scène politique.
Le génie, disait Napoléon Bonaparte, est celui qui détecte et qui unifie. Le mouvement Ennahdha gagnerait à méditer ce sermon. Car l’histoire encourage l’humilité.