Retour en arrière, pense-t-on… retour de la morale? Souad Abderrahim, qui traite avec mépris les mères célibataires, «elles n’avaient pas à faire des enfants en dehors de l’institution du mariage… Comment veulent-elles qu’on les protège? C’est insensé. On (la société) ne protège que celui qui rentre dans le moule, du “prêt à penser“, ou du “prêt à être“…». Tollé sur le Net, et dans quelques milieux. Car il faut le dire aussi, dans d’autres milieux, dans la rue, les gens semblent réconfortés de ces propos, d’un réel respect des traditions, dit-on. En précisant qu’on parle des femmes qui auraient choisi d’être mères célibataires, pas de celles violées. Le choix. Enorme enjeux…
Est-ce qu’on est face à une régression?
Comment définir le progrès déjà? Est-ce que la modernité à l’occidentale… est progrès? Est-ce qu’elle est forcément progrès pour tous les peuples? Les spécificités culturelles n’ont-elles pas à interférer avec cela? Car la mondialisation ce n’est certainement pas la fin de la culture, au contraire! C’est même l’ère des chocs culturels et civilisationnels (Samuel Huntington)…
Les droits de l’homme, me direz-vous, les libertés individuelles, sont et devraient être universels. Très bien. Au passage tout le monde aura noté qu’ils ne sont valables pour le moment que pour l’Occident. D’où un facteur puissant de rejet de cette philosophie par le monde oublié, celui qui ne fait pas partie du G20. Mais passons.
Pour la majorité des conservateurs qui ont élu Ennahdha (qui ne sont pas la majorité du peuple, avec moins de la moitié des électeurs tunisiens qui auraient participé au scrutin…)… pour ceux-là, c’est enfin le bon sens… Marre de ce suivisme aveugle des modes de vie occidentaux, qui nous tombent dessus sans nous prévenir, avec leur cortège de malheurs!
Tant de parents se réjouissent des propos de Souad Aderrahim, et évoquent ces feuilletons télé pour ados, type «Sauvés par le gong», ou «Melrose Place», avec des jeunes filles qui tombent amoureuses d’un homme nouveau toutes les semaines, et qui tombent enceintes, souvent. Qui gardent le bébé, parfois. Pas toujours. Car l’Amérique profonde est très puritaine, nous l’oublions…
Des feuilletons qui formatent nos jeunes d’une certaine façon. Après, ces jeunes filles tombent dans l’irréparable, souffrent et font souffrir leurs familles, et ne parviennent souvent pas à être heureuses avec leurs maris. Quand elles se marient. Car l’homme arabe, oriental, redoutable caméléon qu’il est, est très ouvert avant le mariage, et devient très conservateur après.
Le bilan de la modernité…?
Faisons un peu le bilan de la modernité elle-même… N’a-t-elle pas quelque part déçu, beaucoup déçu…? L’Occident, d’abord, qui, dans la bouche de plusieurs de ses penseurs, est désavouée. La liberté est angoisse, la liberté absolue n’existe pas car insupportable par l’Homme. La liberté individuelle, acquise depuis les Lumières en Occident, tourne en bonne partie à une fracture de la famille, à un délitement du lien social, et ce n’est pas du progrès. Le lien, un mot bateau, mais qui porte tout le sens de cette affaire… on ne veut plus de liens. On se veut libre comme l’air. Mais on revient très vite pleurer de solitude. Insondables l’âme et la condition humaine…
L’Occident lui-même risque bientôt de tout remettre à plat. Surtout la réponse moderne à cette angoisse et à cette perte de liens: la société de consommation. La liberté de consommer-en mode non stop-, d’être dans le désir continu, et donc dans l’insatisfaction continue…
Qu’est-ce que le progrès?
Peut-être que je me trompe… mais le progrès ne passe-t-il pas d’abord par le bonheur…? Nous importons en grande partie un modèle occidental du bonheur. En oubliant que sur sa terre natale ce modèle est de plus en plus rejeté. Merci “les indignés“. Je regarde autour de moi, et je constate avec effroi le nombre de divorces chez les femmes de ma génération. On divorce beaucoup plus facilement aujourd’hui, on ne veut plus se donner le temps, patienter, pour construire un lien qui dure, des années, une vie. Comme avant. Valéry dit que le renoncement à la durée marque une nouvelle époque, celle du provisoire… Liberté et provisoire: sacré cocktail!
C’est la faute des hommes, diront les femmes, beaucoup plus volatiles et irresponsables qu’avant… Oui peut-être, mais ne cherchent-ils pas à être simplement libres…?! La faute des femmes, diront les hommes, elles veulent tout! Elles se croient au dessus de tout –sous entendu leur condition pseudo-naturelle de gouvernante et de mère de famille- … Mais ne cherchent-elles pas à être libres elles aussi…?!
Dure dure cette question de liberté. On en veut ou on n’en veut pas à la fin?