La révolution de la dignité du 14 janvier 2011 s’est distinguée par la génération de paradoxes, de bizarreries et de surprises qui ne manqueront pas d’intéresser, ultérieurement, historiens et sociologues de la Tunisie contemporaine. En voici en vrac quelques uns.
D’abord, le choix de la destination du président fuyard. Ce dictateur laïc, qui a combattu des fondamentalistes tunisiens d’obédience «wahhabite», s’est réfugié, paradoxalement, en Arabie Saoudite, le temple du Wahhabisme, «secte» politique et religieuse proche du Salafisme dont les fidèles rejettent toute tradition extérieure au Coran, à la Sunna.
Comme par «hasard», son principal adversaire, Rached Ghannouchi, chef du parti islamiste Ennahdha, avait, lui, trouvé refuge au Royaume-Uni, pays laïc, quand il avait fui la répression de Ben Ali (début des années 90).
Viennent ensuite les premières réalisations de la révolution de la dignité que consacrent, entre autres, les récents résultats de l’élection de l’Assemblée constituante. Déclenchée, au commencement, pour des raisons sociales et régionales (chômage et déséquilibre régional), sans encadrement et sans leaders, la révolution a amené “au pouvoir“ le parti Ennahdha, un parti religieux qui n’a pourtant joué aucun rôle dans le déclenchement de cette révolution.
Ainsi, contre tout entendement, les électeurs des régions déshéritées (Sidi Bouzid, Kasserine, Gafsa, Kairouan, Le Kef, Jendouba, Siliana, Kébili, Tozeur, Tataouine…), tout autant que les régions touristiques du littoral (Bizerte, Sousse, Monastir, Mahdia, Médenine…) ont élu le parti qui sert le moins leurs propres intérêts socio-économiques, du moins en principe.
Est-ce nécessaire de rappeler, ici, que les partis islamistes sont par essence ultralibéraux et que c’est au nom de ce même ultralibéralisme (primauté à la stabilité et au profit) que le président déchu avait coupé le pays en deux (est–ouest), voire un littoral prospère où toutes les infrastructures sont disponibles et un intérieur du pays qui ne survit que grâce à l’assistance sociale.
Autre révélation paradoxale de cette révolution, l’échec cuisant, lors des élections de la Constituante, des leaders historiques on-shore lesquels ont, pourtant, le plus combattu et le plus subi la répression multiforme du président déchu, durant 23 ans. Seul Mustpaha Ben Jaafar, chef du parti Ettakatol, a relativement tiré son épingle du jeu en réalisant le 3ème meilleur score. Quant aux figures de proue de l’opposition contre Ben Ali: Hamma El Hammami, chef du Parti ouvrier communiste tunisien (POCT), Nejib Chebbi, fondateur du Parti démocrate progressiste (PDP) et Ahmed Ibrahim, chef du parti Ettajdid (composante du Pôle démocratique moderniste (PDM), handicapés par de faux calculs et mauvaises stratégies-alliances électorales sont sortis plus fragilisés que jamais.
Ce sont désormais des militants off shore comme Rached Ghannouchi et Moncef Marzouki (président du Congrès pour la République “CPR“ -ex-réfugiés politiques, respectivement au Royaume-Uni et en France- qui ont triomphé et font aujourd’hui la pluie et le beau temps.
L’off shore n’est pas, toutefois toujours, une garantie de succès. A titre indicatif, les ministres off shore que l’ex-Premier ministre Mohamed Ghannouchi avait intégrés dans son gouvernement ont brillé par leur méconnaissance du pays et, partant, par leur inefficacité.
Et pour positiver, au-delà de ces contradictions, la révolution et son corollaire la Constituante auront permis aux Tunisiens d’apprendre beaucoup et très vite sur les rouages de la démocratie, d’exorciser le “mal nahdhaoui“ et de mieux connaître le profil de l’électeur tunisien. C’est déjà beaucoup, non!