«Rien n’est plus sacré que notre liberté». «Je me suis révolté pour le travail, la dignité et la liberté, mais pas pour le khalifat». Autant de slogans scandés au Bardo devant le Parlement alors que la Constituante s’y réunit pour la première fois après des élections libres. Ils expriment de l’inquiétude par rapport aux valeurs que véhiculera la deuxième République et doutent d’ores et déjà du fait qu’elles correspondent à l’idéal tunisien.
Il était des milliers en ce mardi 22 novembre devant le Parlement pour faire parvenir leurs voix aux scribes de la nouvelle Constitution avec l’air de dire «Nous vous avons à l’œil et vous avez intérêt à respecter vos engagements et ne pas nous tromper».
Des jeunes et des moins jeunes, des fois discutant en cercles, des fois récitant l’hymne national ou criant leurs slogans: «Je tiens à faire parvenir ma voix et à dire à ceux qui siègent dans cette Chambre, que rien n’est définitif et que nous sommes là pour revenir dans la rue s’ils n’honorent pas leurs engagements», avertit Ines, étudiante.
«Vous pensez qu’ils tiendront leurs promesses, qu’ils ne bouleverseront pas l’équilibre établi en Tunisie depuis des siècles?», s’interroge une dame d’âge mûr.
La démocratie est un apprentissage qui ne se fait pas du jour au lendemain, il s’inscrit dans la durée et se construit par des luttes, des débats et des échanges, des fois virulents et d’autres courtois et calmes. «La tenue des premières discussions à la Constituante n’ont pas manqué de punch. Elles ont été surprenantes à maints égards. En premier lieu, tout le monde, et en premier lieu, la troïka (Ennahdha, Ettakatol et le CPR) a cru que c’était joué d’avance et qu’ils entraient en terrain conquis. L’opposition leur a prouvé que rien n’était donné, elle s’est préparée pour intimer à cette première séance un caractère éminemment démocratique et a chambardé les certitudes préétablies qui garantissaient le triomphe incontestable de la troïka». Soufiane Ben Farhat, analyste politique, visait par cette explication l’accord entre les 3 partis vainqueurs sur la désignation de Mustapha Ben Jaafar en tant que président de la Constituante à tel point que dans l’ordre du jour, «on avait mentionné “élection du président“, c’était mettre toute l’Assemblée devant le fait accompli en considérant qu’il n’y avait qu’un seul candidat qui sera de toutes les manières ‘’l’élu’’».
Le fait que Maya Jeribi se soit présentée en tant que candidate de l’opposition pour le poste de président de la Constituante a bouleversé les donnes et a remis les pendules à l’heure, renvoyant les accords préalables au rang de simples consultations entre partis alliés et remettant sur le tapis la nécessité de respecter fidèlement les règles du jeu démocratique.
Mieux, en récoltant 68 voix alors qu’on ne s’attendait qu’à 40 voix approuvant sa candidature, Maya Jeribi a prouvé que le tiers bloquant n’était pas une mission impossible, d’autant plus que parmi les élus du centre gauche faisant actuellement partie de la Troïka, il y en a qui peuvent rejoindre les ranges de l’opposition.
«Je suis le premier président élu», avait déclaré hier Moncef Marzouki, président du gouvernement transitoire. Il annonce ainsi l’amorce de l’apprentissage démocratique en Tunisie. «Nous en avons réellement besoin, car entre être dans l’opposition et tenir les rênes du pouvoir, la différence est grande. La tâche est loin d’être facile».
«Ma plus grande découverte à moi a été celle de Maya Jeribi, indique Zied El Heni, rédacteur en chef au journal Assahafa, laquelle, par sa solidité, sa culture, sa nature combattive et combattante a redressé la barre et a montré que la femme tunisienne est au centre de toute équation démocratique, qu’elle est la véritable porteuse de valeurs et qu’elle ne négocie pas aux dépens de ses principes. Alors que l’on commençait à avoir peur pour ses acquis, voici que la Tunisie redécouvre un leader –et qui plus est une femme- et que l’opposition se dote d’un nouveau leader appelé Maya».
Maya Jeribi a, dans le discours prononcé mardi 22 à la Constituante, rappelé aux nouveaux possesseurs du pouvoir que l’opposition sera toujours présente pour servir de garde-fous, protester, critiquer et bloquer si besoin est quand elle estime qu’il y a des excès dans un sens ou dans un autre et féliciter quand les décisions prises sont les bonnes.
Au passage, elle tancera du reste Mohamed Abbou, membre du CPR, le conviant à revenir sur les déclarations du PDP pour maintenir les institutions en état et préserver les acquis. «On nous avait alors accusés d’être à la solde de l’ancien régime. Il est appréciable que vous le réalisez aujourd’hui».
L’ambiance qui a régné hier à la Constituante a été bon enfant malgré certains débordements de la part du président de la séance. Toutefois, il est aujourd’hui important que les Tunisiens mettent en place les règles du jeu démocratique à la «tunisienne», contrôler les propos, éviter les dérapages et apprendre à organiser les débats.
Les élus du peuples doivent aujourd’hui être assez modestes pour reconnaître leurs limites en matière de communication, ils devraient soigner leurs discours et leur comportement, les média training sont faits pour cela, justement.
Le peuple, lui, peuple la rue… Ce qui appelle à l’optimisme dans la Tunisie de l’après 14 janvier. Le niveau de conscience des Tunisiens nouvellement éveillés à la démocratie est ahurissant. A voir ces milliers de personnes réunies mardi 22 novembre devant le Parlement, on réalise qu’on ne pourra plus les leurrer ou se jouer d’eux: «Vous êtes dans le Parlement, nous sommes dans la rue et nous l’occuperons à chaque fois que nous jugerons que vous trahissez les principes de la démocratie et de la liberté», a tenu à préciser une jeune femme à un «responsable» qui demandait pourquoi cette occupation.