Crise de la dette : la BCE ne peut s’abriter derrière son statut

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à Francfort (Photo : Daniel Roland)

[24/11/2011 17:04:03] FRANCFORT (AFP) Rien ne s’oppose statutairement à une intervention plus massive de la Banque centrale européenne (BCE) sur le marché de la dette, afin de porter secours à une zone euro en pleine déconfiture, si ce n’est l’opposition persistante de l’Allemagne.

“La BCE a déjà acheté des obligations sur le marché secondaire donc il n’y a pas de problème légal sur ce point”, a dit à l’AFP Marie Diron, économiste au cabinet de conseil Ernst&Young.

Selon son statut et celui du système européen de banques centrales, la BCE est autorisée à intervenir sur le marché secondaire, où s’échangent les obligations déjà émises. Et ce sans limite de montant.

En revanche, elle ne peut pas participer à l’adjudication d’obligations publiques en zone euro. Cela pourrait être assimilé à un financement des Etats membres, ce qui lui est strictement interdit.

Certes le mandat unique qui lui a été assigné est de maintenir la stabilité des prix en zone euro, avec une inflation proche mais sous 2% à moyen terme. Mais elle a aussi une autre mission, rappelle Sylvain Broyer, économiste de Natixis: veiller à la stabilité financière de la zone.

“Dans un contexte de contagion de la crise souveraine au secteur bancaire”, pouvant conduire à une raréfaction du crédit et nuire à l’économie réelle, “c’est effectivement à la BCE d’agir par des achats sur le marché secondaire”, selon lui.

Pourtant, l’institution monétaire de Francfort ne cache pas son malaise concernant ce programme de rachat de dette publique, lancé en mai 2010, et a toujours pris grand soin de signifier qu’il était limité dans le temps et devait demeurer modeste.

Une position sur laquelle elle campe malgré l’aggravation d’une crise qui menace les fondements même de la zone euro, et les appels insistants de certains responsables politiques et d’économistes à ouvrir davantage les vannes.

Sa réticence est à mettre sur le compte de son souci d’indépendance vis-à-vis des gouvernements et de sa volonté de leur signifier que c’est à eux de regagner la confiance des marchés en prenant les mesures structurelles nécessaires pour redresser leurs finances.

Elle est aussi très fortement liée aux critiques sévères de la Banque centrale allemande, la Bundesbank, sur le modèle de laquelle elle a été créée et dont l’influence reste prépondérante. Et ce même si, comme les autres banques centrales de la zone, la Buba ne dispose que d’un membre et d’un vote au conseil des gouverneurs de la BCE.

Pour Marie Diron, “la raison du blocage allemand à l’heure actuelle, c’est le risque d’+aléa moral+”. A savoir que “si la BCE annonce qu’elle achètera autant d’obligations que nécessaire, cela signifie pour les gouvernements qu’ils ne seront plus tenus d’appliquer des mesures de restriction budgétaire”.

Holger Schmieding, chef économiste à la banque Berenberg, juge l’opposition de Berlin “davantage politique que légale”. Elle est profondément “ancrée dans l’expérience de 1923: créer trop de monnaie pourrait causer de l’hyper-inflation”.

Sylvain Broyer souligne aussi que la Bundesbank, “rempart contre les abus du pouvoir de l’Etat”, est soumise à “une pression extrêmement forte de la population allemande” sur ce thème de l’inflation.

Or “la crise de 2011 n’est pas l’hyperinflation des années 20”, dit-il à l’AFP, notant que la Buba “est en train de prendre en otage le reste de la population européenne au nom de l’intérêt” des Allemands.

D’autant que contrairement à la Fed ou à la Banque d’Angleterre, qui créent de la monnaie, la BCE prend soin de “stériliser” ses achats d’obligations pour ne pas faire marcher la planche à billets.

En clair, elle retire de la circulation -au travers de dépôts bancaires- le montant des obligations rachetées, éloignant donc les craintes d’inflation.

Si elle augmente ses achats, elle pourrait émettre de la dette pour les financer, ce qui à nouveau ne créerait pas de monnaie, avance Sylvain Broyer.