Je suis née dans une famille moyenne et très politisée. Chez moi les discussions étaient virulentes entre mes frères, syndicalistes communistes et pratiquants.
Nos différences idéologiques ne nous empêchaient pas de nous respecter les uns et les autres et de nous considérer tous comme musulmans culturellement et des fois idéologiquement.
Dans ma cité, avec mes amis la question d’être musulman ou pas ne s’est jamais posée tant il nous paraissait évident que nous appartenions tous à la même culture.
A l’université, les AG regroupaient autant la gauche, la droite que les « khobzistes », on se querellait et parfois on se bagarrait et à la fin on se rejoignait sur une même idée, celle de l’amour du pays, de son développement, de son autonomie et de la préservation de ses différences.
Je n’ai pas à l’Université tunisienne, des années 80 et 90 avant que Zine El Abidine Ben Ali n’y interdise toutes mouvances politiques en y plaçant ses vigiles et sa police, le souvenir d’une guerre basée sur l’appartenance identitaire de la Tunisie. Même si les nationalistes arabes y étaient actifs avec pour idée centrale la Palestine. Nous étions avant tout Tunisiens.
Aujourd’hui, je ne me reconnais dans ma Tunisie, celle où on se regardait sans se juger, sans se sentir accusée d’être amorale ou « occidentalisée, orphelins de la France » comme on veut bien décrire tous ceux et celles qui ont hérité des valeurs modernistes depuis l’indépendance.
La Tunisie celle de la première constitution dans le monde arabe, qui, la première, a aboli la polygamie, celle qui a promulgué le premier code du statut personnel, laquelle, grâce à Bourguiba, qu’on le veuille ou non a pu intégrer l’ère de la modernité et qui a institué l’éducation obligatoire pour les filles et les garçons à égalité.
Je ne me reconnais pas dans cette Tunisie ingrate à l’un des symboles de la Tunisie actuelle quoiqu’on puisse lui reprocher, car c’est en partie grâce à lui que notre pays a des institutions aussi forte et des compétences aussi qualifiées.
Je ne me reconnais pas dans cette Tunisie où n’importe quelle critique touchant les vainqueurs des élections ou leurs alliés vous fait passer pour dépravé, apostat et détestant l’islam.
Je ne me reconnais pas dans cette Tunisie où la culture et l’art sensés bouleverser l’ordre établi et bousculer les tabous doivent aujourd’hui être soumis à des chaînes de moralité hypocrite et aveugle exprimant la frustration de ceux qui la portent.
Je ne me reconnais pas dans cette Tunisie où les élèves osent remettre en question les cursus scolaires et accuser leur instituteurs (trices) d’être des « koffars » et je ne me reconnais même pas dans mon islam qui, lui, appelle à la conquête du savoir de la naissance à la mort.
Je ne me reconnais pas dans cette Tunisie où des institutrices battent leurs élèves non voilées et où les enseignants appellent au port du voile…
Ma Tunisie à moi est celle décrite par Rym Ben Regeb sur Facebook :
« Mes racines sont berbères, numides et puniques ; mon Tronc est byzantin, turc et andalou. Ma sève Africaine qui coule depuis des milliers d’années se nomme Tolérance. Mon cœur est arabe. Ma pluie est méditerranéenne.
Et mes branches s’entrecroisent entre musulmans, chrétiens et juifs. Mes fruits portent le nom de miracle. L’Histoire a creusé de nombreux nids sur mes rameaux : russes, maltais, espagnols,…. ont trouvé refuge chez moi. Je suis un arbre millénaire, debout depuis tellement longtemps.
Laissez mes feuilles s’abreuver de lumière, ne touchez pas à ceux qui viennent demeurer en moi. Ne touchez pas à mes enfants. Car je suis l’arbre de la vie. Je me nomme la Tunisie»
Peut-on mieux espérer?