Les commissions de vérité représentent-elles le premier pas vers le passage à la
justice transitionnelle? Il paraît bien que oui. Même si la création des
commissions dans la Tunisie post révolutionnaire s’est faite plus dans un
objectif d’investigations et d’inquisition que dans le sens d’une étape qui
permettrait d’atteindre la réconciliation en faisant éclater la vérité pour
avoir la justice.
«Le concept de justice transitionnelle est méconnu par presque 90% de nos
magistrats, indique Raoudha Labidi, présidente du Syndicat des magistrats.
Pourtant, il représente une étape nécessaire pour passer d’un processus de
questionnement et de jugements à un avenir partagé entre tous les Tunisiens.
Pour nous, en tant que juges et magistrats, et toutes les personnes raisonnables
et soucieuses d’aller de l’avant, il faut avoir le courage de dire “nous nous
arrêtons-là“. Car, si nous continuons indéfiniment sur le même mouvement de
jugements/condamnations entrepris depuis le 14 janvier et parfois basé sur des
détails insignifiants, nous allons finir par détruire le pays».
Il est normal que le peuple exige la vérité, et il est important que les gros
dossiers qui concernent le pillage du pays, les malversations et les abus de
pouvoir soient soumis à la justice. Il est également tout à fait évident que
tout Tunisien qui s’est senti lésé récupère ses droits et sa dignité par la
justice. Mais il faut éviter que cela tourne au règlement des comptes ou à un
désir de vengeance tout à fait intéressé. Et c’est justement la différence entre
une réconciliation individuelle et une réconciliation nationale ou politique. La
première relevant des droits des personnes et par conséquent dépendant de leur
volonté de pardonner ou pas.
«Aujourd’hui, certains partis politiques appellent à une magistrature élue par
le peuple! Tant il est vrai que le ridicule et la bêtise ne tuent pas.
Traduction sur le terrain, on efface tout et on recommence. Jetons tous les
juges dans la rue et laissons le peuple élire ses futurs édiles. Pour moi, ces
gens-là cherchent à semer le chaos dans le pays avec un raisonnement aussi
confus et des idées insensées. Les futurs dirigeants du pays devraient être à la
hauteur des responsabilités, et dans la situation actuelle du pays, ils n’ont
pas droit à l’erreur».
Les accusations ne doivent pas être adossées à des doutes ou des vengeances
personnelles
Les maux de la justice devraient, d’après la présidente du syndicat des
magistrats, être traités comme s’il s’agissait d’une infection. Il faut bien
commencer par la désinfecter avant d’administrer des antibiotiques. Pareil pour
la Tunisie, il faut assainir avant d’aller de l’avant… Ce qui est capital dans
ce genre de problématique, c’est le respect de la loi et des droits de l’homme.
Il faut que chaque personne comparaissant devant la justice ait un procès
équitable, soit jugée par les faits, selon la loi et sans a priori, prise de
position ou préjugés ou doutes. La justice doit être aveugle, il ne faut pas
politiser la justice. Une justice qui ne peut pas aujourd’hui protéger les plus
vulnérables, ne pourra jamais faire face aux dictatures d’où qu’elles viennent.
La justice transitionnelle est importante car c’est grâce à elle que nous
saurons la vérité et que nous pourrions ensuite passer à la réconciliation.
«Raconter l’histoire par la révélation de la vérité est un pas vers l’équité ou
de justice et une des étapes les plus importantes pour la réconciliation, mais
il ne faut pas exagérer et insister sur les détails négligeant le fond. Si nous
devons baser les accusations de certaines personnes, sur des doutes, des
présomptions de preuves ou des vengeances personnelles, nous condamnerons le
pays à entrer dans un cercle vicieux duquel, il lui sera difficile de sortir».
Le pardon, la cicatrisation et la réconciliation représentent des processus
profondément personnels, aucune expérience ne ressemble à une autre. Les
contextes politiques, socio-économiques et culturels différent d’un pays à un
autre. Pour éviter les débordements, il faut communiquer, sensibiliser et former
la magistrature à cette nouvelle forme de justice.
Le syndicat compte d’ores et déjà organiser une journée d’information sur la
justice transitionnelle avant d’entamer une série d’ateliers de formation.
«C’est en acquérant le plus d’information possible et en maîtrisant les rouages
et mécanismes de la justice transitionnelle, que nous pourrions réussir la
réconciliation nationale et passer à l’édification de la Tunisie de la deuxième
République. La justice est seule garante de rendre sa sérénité au pays, de
rendre leurs confiances aux investisseurs et de protéger les droits des uns et
des autres», estime Raoudha Labidi.