Maroc – Législatives du 25 novembre 2011 : Pourquoi le PJD n’est pas Ennahdha!


elections-vote-maroc-2011.jpgCertes, les élections de la Constituante du 23 octobre, en Tunisie, et les
législatives du 25 novembre 2011, au Maroc, se ressemblent. Mais, évoluant dans
des contextes différents, elles comportent au moins trois différences de taille.
Décryptage de deux moments forts du printemps arabe.

Les élections de la Constituante du 23 octobre 2011, en Tunisie, et les
élections législatives anticipées qui se sont déroulées un mois plus tard, au
Maroc (le 25 novembre 2011), se ressemblent-t-elles? Réponse : oui. Et pour au
moins quatre raisons.

Premièrement, ces deux élections sont venues après une large contestation
populaire: la Révolution du 14 janvier 2011, en Tunisie, et le «Mouvement du 20
février» 2011, au Maroc. On se souvient que le roi Mohamed VI avait décidé, dans
son discours du 9 mars 2011, consécutif à ce mouvement, qui avait mobilisé de
grandes manifestations un peu partout au Maroc pour revendiquer plus de
démocratie et pour appeler à une lutte sans merci contre la corruption, un train
de mesures dont des élections anticipées devant conduire à «un Parlement issu
d’élections libres et sincères».

Deuxièmement, elles ont connu un taux de participation tout juste honorable dans
une démocratie: 54,1% en Tunisie, et 45,7% au Maroc. Dans ce dernier pays, on
avait, disent de nombreux observateurs, évité le pire: le «mouvement du 20
février» avait appelé, lors de deux grandes manifestations, en octobre et
novembre 2011, à un boycott pur et simple des élections.

Troisièmement, deux partis islamistes sont sortis vainqueurs de l’une et l’autre
des élections: Ennahdha, en Tunisie, et le Parti de la Justice et développement
(PJD), au Maroc.

Recourir à des alliances

Quatrièmement, ces deux partis ne peuvent gouverner sans recourir à des
alliances. Arrivés en tête, ces deux partis ne sont pas majoritaires. Le PJD,
qui conduira le prochain gouvernement grâce à ses 107 sièges, va s’allier selon
toute vraisemblance aux partis de la Koutla démocratique (la coalition
démocratique) constitué du parti d’Al Istiqlal: 60 sièges, de l’USFP (Union
Socialiste des Forces Populaire): 32 sièges, et le PPS (Parti du Progrès et du
Socialisme): 18 sièges. Le PJD et ces trois derniers partis totalisent 217
sièges sur les 395 sièges que comporte la Chambre des représentants.

Rappelons, enfin, que la nouvelle loi fondamentale marocaine stipule que «Le roi
nomme le chef du gouvernement au sein du parti politique arrivé en tête des
élections des membres de la Chambre des Représentants, et au vu de leurs
résultats». (article 47 de la nouvelle Constitution)

Mais les ressemblances s’arrêtent sans doute là.

Le PJD n’est pas, d’abord, Ennahdha. Le parti a une existence légale depuis 1998
et avait 47 députés au Parlement sortant où il constituait la deuxième force du
pays après le parti d’Al Istiqlal (52 sièges).

Sous la houlette du Palais

S’il est islamiste, le PJD est, ensuite, néanmoins historiquement l’émanation
d’un parti politique, largement intégré au paysage politique marocain, «Le
Mouvement Populaire, Constitutionnel et Démocratique» (MPCD), créé en 1967, dont
le créateur, Abdelkrim Al Khatib (1921- 2008) avait des entrées au Palais royal.
Abdelkrim Al Khatib a été même un homme du Makhzen, terme utilisé au Maroc pour
désigner l’Etat et ses institutions.

Abdelkrim Al Khatib a été Président de la Chambre des représentants et par trois
fois ministres sous le roi Mohamed V (1909-1961) et sous le roi Hassan II
(1961-1999). Des attaches familiales le liaient même au Palais royal et il est
attesté que la mutation du mouvement d’Al khatib vers le PJD, en 1998, a été
négociée sous la houlette du Palais par l’ancien ministre de l’Intérieur et
serviteur zélé du roi Hassan II, Idriss Basri (1938-2007).

Le PJD ne conteste pas –loin s’en faut- cela dit l’institution royale encore
moins le statut de «commandeur des croyants» (Amir Al Mouminine) du souverain.
Cette qualité est inscrite dans la nouvelle Constitution qui a été adoptée par
97,5% des votants au référendum du 1er juillet 2011; laquelle Constitution est
issue des réformes annoncées par le roi Mohamed VI dans son discours du 9 mars
2011. «Le Roi, Amir Al Mouminine, veille au respect de l’Islam. Il est le Garant
du libre exercice des cultes. Il préside le Conseil supérieur des Oulémas,
chargé de l’étude des questions qu’il lui soumet» (article 41 de la
Constitution).

Le succès du PJD est, enfin, moins important que celui d’Ennahdha, qui a obtenu
89 sièges sur les 217 que comporte la Constituante. Le PJD n’a pas, dans ce même
ordre d’idées, que des amis dans des pans entiers de la société marocaine,
notamment dans les rangs de la population d’origine berbère (entre 30 et 40% de
la population marocaine): le secrétaire général du PJD, Abdelilah Benkirane
aurait déclaré que les lettres du «tifinagh» (alphabet amazigh) étaient du
“chinois”; ce qui avait suscité un certain émoi parmi les défenseurs de cette
langue, reconnue comme langue nationale.

Conclusion: évoluant dans des contextes différents, les expériences tunisienne
et marocaine ne sont pas les mêmes. Même si elles se ressemblent. Le parcours
des deux partis islamistes ne devra pas être de ce fait le même.

Et ce dans un pays où la monarchie réussit toujours à négocier dans le calme les
grands virages que prend le Maroc. La preuve vient d’être du reste de nouveau
donnée.