Dès la proclamation des résultats partiels des élections de l’Assemblée constituante, l’excitation de certains partis politiques était perceptible. Des tractations ont commencé. Des rumeurs ont filtré. Des claquements de pupitre ont sonné. Des rapports de force se sont établis. Des conquérants ont émergé. Des équipes ministérielles sont échafaudées. Des langues ont salivé. Des ambitions se sont embrasées. Des listes de ministres ont circulé. Des noms sont proposés aux postes de souveraineté. Aux ambassades. Aux futurs cabinets. Aux consulats. Aux administrations. A la tête des sociétés publiques… Bref, la lutte des places était à son zénith. Dans un contexte économique des plus précaires… Besognons, Dieu besognera, disait Jeanne d’Arc.
Eh oui, le jeu des dupes, nous dit-on, tout au long de la campagne électorale, des candidats aux promesses démagogiques, a contribué à battre le rappel des lésés, des parias et des démunis des régions du sud-ouest du pays et des quartiers périphérisés de la capitale, outrés de voir le personnel politique, qui se présente en vainqueur, s’empêtrer dans des considérations électoralistes et des attitudes triomphalistes alors que l’ensauvagement de la misère continuait de plus belle à l’intérieur du pays. En somme, nous revoilà comme Perette et son lait renversé.
En fait, nous dit un observateur de la scène politique locale, une répétition du régime parlementaire en gestation s’est déroulée sous nos yeux. Au sein des alcôves, des demeures privées et des antichambres du pouvoir. Ce qui a mis les nerfs des Tunisiens à rude épreuve. Ceux du gouvernement de Béji Caïd Essebsi aussi. Dont les membres s’attendaient quand même à plus de responsabilité. De retenue. D’humilité. De respect des règles démocratiques. Car, affirme une source au Palais de La Kasbah, rien ne rehausse l’autorité mieux que le silence, splendeur des forts et refuge des faibles puisque seuls les élus de l’Assemblée constituante, insiste-t-il, dont la principale vocation est de rédiger une nouvelle Constitution pour le pays, disposent du mandat du peuple pour organiser la vie politique nationale durant la nouvelle période transitoire. En attendant les échéances futures, liées aux législatives et à la présidentielle.
Apparemment, afin de contenir l’opinion, de mettre le mouvement Ennahdha et ses alliés face à leurs nouvelles responsabilités, d’empêcher la confusion entre les autorités et d’accélérer la passation des pouvoirs, Béji Caid Essebsi, un monument d’audace et de souveraineté, après avoir sondé son équipe ministérielle, qui a réussi, globalement, à mener le pays à bon port, a décidé de présenter au président de la République la démission de son gouvernement. D’arrêter le jeu de leurre.
Le dépit était flagrant. La cérémonie… On ne peut plus grave. Mais le sentiment du devoir accompli se lisait sur les visages.
D’ailleurs, dans son allocution, au Palais de Carthage, le locataire de La Kasbah, un homme qui sait des choses et sait les taire, dont les crocs contiennent encore quelques ultimes doses de venin, n’a pas hésité à tacler les uns et les autres et à dénoncer implicitement le double langage des islamistes nahdhaouis, la réorientation idéologique du calendrier politique, faisant ainsi fi du consensus et la mauvaise foi de l’alliance tripartite (Ennahdha-Ettakatol-CPR) qui, à l’image de Rastignac, affamée par des années de jeûne politique, gonflée de son égo de vainqueur, fait un virage bord sur bord, érige la flatterie comme instrument de recrutement, promeut leurs intérêts partisans, forge des projets utopiques, dupe admirablement, affiche l’arrogance des victorieux, se croit le deus ex machina de ces journées historiques et donne ainsi le coup de grâce aux derniers bastions d’illusions.
En fait, pour Béji Caïd Essebsi, les maîtres du mouvement islamiste nahdhaoui et leurs compagnons de route, qui n’ont pas daigné impliquer l’UGTT, épine dorsale de la révolution du Jasmin, dans leurs tractations, ont pris la décision, durant une période encore transitoire, d’investir les rouages de l’Etat à la faveur des résultats de la Constituante. Alors que le mandat populaire est orienté essentiellement vers l’écriture de la nouvelle Constitution.
Finalement, dans un contexte révolutionnaire, champ magnétique d’exigences sociales, la lecture partisane de la réalité politique et des rapports de forces relève, affirment plusieurs experts, de la gageure. De l’aventurisme. Seulement, apprendre à des nouveaux venus à se contraindre et à prévoir… Autant essayer de discipliner les oiseaux, disait De Gaulle.