Dans un propos récent lors du forum international de “Réalités’’, dont le thème portait sur «Le politique et le religieux dans un Etat de droit», le Pr Olfa Youssef s’est penchée sur le rapport du politique et du religieux, sous le prisme de la Constitution.
La Constitution, un contrat social
La conférencière a évoqué la nécessité de préserver l’intégrité du texte constitutionnel de l’interférence du religieux. Le sacré et le social, c’est la conscience et l’action, disait-elle en substance. Aucun lieu commun. La Constitution est le champ exclusif du contrat social, et de ce fait, elle se démarque du sacré. Cette séparation ne signifie pas pour autant que le religieux est marginalisé. Comment dès lors le positionner dans le champ public?
La religion, un référent identitaire
L’islam tout comme d’ailleurs la langue arabe sont deux éléments structurants de la personnalité tunisienne et de l’identité de notre communauté nationale. La religion musulmane est, pour nous, un référent identitaire, c’est-à-dire l’expression de notre être. Nous l’intériorisons et nous la portons en nous, semblait dire en substance, Mme Olfa Youssef. Elle nous habite individuellement et détermine notre «conscience» collective. Si donc, la séparation entre Constitution et religion est nette et étanche, la religion imprègne l’espace public. Elle n’est donc pas totalement chassée de notre société. L’article premier de notre Constitution –actuelle- l’habilite à ce rôle sans en faire une religion d’Etat. Et nous ajoutons pour notre part que l’Etat de l’indépendance a installé un modèle social sur cette base. Nous considérons que cela ne nous a pas mis en déficit de piété, et ne nous a pas éloignés de notre foi.
Un ensemble de valeurs générales, dans un cadre universel
Mme Youssef s’interroge, dans l’état de ferveur politique que nous traversons, sur les causes du retour de la tentation de réinstaller la religion dans la Constitution. Cela semble être commun à tous les pays du Printemps arabe. L’inspiration viendrait de l’Arabie Saoudite. Le royaume chérifien décrète que le coran et la sunna du Prophète -Paix et Salut sur Lui- sont sa Constitution. Dans ce contexte précis, le politique se trouve entièrement dissous dans le sacré. L’ennui est que cela crée un dysfonctionnement de la démocratie. Critiquer le souverain revient à critiquer la volonté divine. Péché répréhensible. Cela compromet les libertés publiques, et exclut le pluralisme et l’alternance.
Et Mme Youssef de conclure que le texte coranique ne peut servir d’assise de légitimation de l’autorité politique, sous peine d’immobilisme. Cela bloque toute forme de progrès autre que celle décidée par le souverain. Ce qui confine à un état de conformisme. Et, d’ailleurs, son argumentation s’adosse à la nature de la foi musulmane qui n’admet pas d’intermédiaire entre Dieu et le croyant. Par ailleurs, qui peut se proclamer porte-parole de Dieu sans en avoir été désigné comme messager par la volonté divine, laisse croire le propos de Olfa Youssef.
Mais pour autant, le texte coranique n’est pas sans apport. Il contient des valeurs générales. Elles sont valables dans un contexte universel. Quatre prescriptions ont valeur d’un jugement précis, à savoir le vol, le meurtre et l’adultère. Donc dans l’ensemble, les prescriptions divines n’étant pas précises, elles renvoient à une symbolique, selon la conférencière.
Prenant l’exemple de la Choura, elle soutient qu’elle n’est pas décrite en des termes clairs et précis. Par conséquent, ce qu’il faut en retenir est la nécessité de la concertation. Et le champ serait laissé libre à la convenance des citoyens. Au mieux donc, la religion pourrait inspirer les principes de base de l’édifice démocratique.
Que dire de la volonté de certains d’injecter le sacré dans la constitution? La seule explication qui reste serait-elle la tentation totalitaire et le penchant pour le pouvoir absolu. Comment faire dès lors pour décrypter la volonté divine?
L’interprétation: Le risque de discorde
L’interprétation serait donc la manière de décrypter les prescriptions coraniques de portée générale. Or, soutient Olfa Youssef, l’interprétation diffère entre les hommes et les époques. L’interprétation peut donc être source de litiges et donc d’instabilité politique. Et, la conférencière de rappeler que les écritures peuvent être lues de manière opposée. L’une peut être clémente et l’autre littérale ou carrément intégriste. Pour écarter les risques d’une lecture intégriste le droit positif semble plus approprié à l’Etat de droit. C’est le compromis pour protéger la démocratie et libérer la modernité.
Etait-ce là son message?