Les martyrs et blessés de la Révolution font l’objet, ces jours-ci, de surenchères politiques sordides et de business de basse facture, et ce avant même que la Commission nationale d’investigation sur les dépassements et les violations (CIDV), institution qui gère officiellement ce dossier, ne publie son rapport final et établisse la liste définitive des martyrs.
Gros plan sur une affaire louche.
Au plan politique, des parties, connues pourtant pour leur professionnalisme et crédibilité, ont trouvé un vilain plaisir à provoquer les familles des martyrs et à générer actes de vandalisme et chaos, particulièrement à Kasserine et à Thala. Selon des observateurs, «la multiplication des provocations prouve que ces parties sont loin d’être innocentes et que leurs initiatives sont préméditées».
Au commencement, sans être habilitée logiquement à le faire, l’Instance supérieure indépendante des élections (ISIE) a organisé, dimanche 20 novembre 2011, une cérémonie au cours de laquelle Kamel Jendoubi (président de cette instance) et son équipe ont voulu honorer les familles des martyrs.
Seulement, sous l’effet de protestations virulentes des familles des martyrs et surtout de leur refus d’accepter de bizarres blasons en signe de reconnaissance des sacrifices consentis, la situation a vite dégénéré et un désordre chaotique a assailli la cérémonie, laquelle a été tout simplement suspendue.
Deux jours après, c’est-à-dire le mardi 22, à l’occasion de l’ouverture des travaux de l’Assemblée constituante, à l’initiative d’un député du parti Afek Tounes, en l’occurrence Noôman Fehri, une lecture a été donnée à une liste des noms des martyrs. Et c’est le scandale: ladite liste était incomplète. Elle ne comportait pour la région de Kasserine que 7 martyrs alors que la région en compte 23 officiellement, et péchait par le fait qu’elle regroupait en une seule liste les martyrs de Kasserine et de Sidi Bouzid.
Le résultat ne se fit pas attendre. Des actes de violence et de vandalisme éclateront le lendemain soir (23 novembre), dans la ville de Kasserine. Le président de l’Assemblée Constituante s’excusera auprès des indignés kasserinois et décida, du coup, de constituer une commission. Puis, ce fut au gouvernement provisoire de monter à son tour au créneau, en tenant une réunion au cours de laquelle un train de mesures fut pris pour contenir la situation.
La question qui se pose dès lors c’est de savoir qui a fourni cette liste et dans quel but? Selon l’auteur de l’initiative, Afek Tounes se l’était procurée auprès de l’ISIE.
Pour sa part, Taoufik Bouderbala, président de la Commission nationale d’investigation sur les dépassements et les violations (CIDV), institution de la Révolution en charge du dossier, s’est défendu d’avoir fourni une quelconque liste ni à l’ISIE ni à l’Assemblée Constituante.
Irrité, ce même Bouderbala est allé jusqu’à déplorer la tendance de certaines institutions, pourtant averties, à ignorer la CIDV qui en a la charge, en vertu d’un décret-loi présidentiel, de la gestion du dossier des martyrs, et rappelé que la liste définitive n’a pas été établie et qu’elle ne le sera qu’avec la publication du rapport final de la CIDV. Dont acte.
Conséquence: la concomitance de l’organisation par l’ISIE d’une cérémonie à la gloire des martyrs et la tolérance d’une lecture provocatrice d’une liste incomplète des noms des martyrs au sein de l’Assemblée constituante, alors que ce dossier n’était pas une urgence pour ces deux institutions, ne peut être que mal interprétée par les villes et familles des martyrs.
Celles-ci y ont vu une tentative de récupération et de banalisation de leur cause alors que leur unique souhait est de voir «l’Etat organiser, dans les meilleurs délais, des procès justes pour faire valoir les droits des martyrs».
Au regard des dégâts occasionnées, l’irresponsabilité des provocateurs (ISIE, Afek Tounes, Assemblée constituante) est inacceptable, et ceux qui parlent de préméditation (députés de Kasserine) n’ont pas tout à fait tort.
Parallèlement à ces surenchères politiques, des mafieux ont trouvé dans “l’affaire des martyrs et blessés“ de la Révolution un juteux business. La presse locale a publié, ces jours-ci, l’histoire d’un escroc qui, muni d’un scanner, se serait spécialisé dans l’imitation de véritables certificats médicaux délivrés à de véritables blessés de la Révolution. Ces certificats, imités et transformés (changement de noms), seraient vendus au prix fort à de faux blessés cherchant à profiter des compensations de l’Etat.
C’est pour dire au final que la CIDV a tout intérêt à publier la liste définitive des martyrs, dans les meilleurs délais. L’objectif étant de mettre fin à un trafic sordide indigne de la Révolution du 14 janvier.