Elle est jeune, elle est belle, elle croyait en l’avenir, elle croyait en la vie. Elle a passé sa jeunesse, la fleur de l’âge, à faire des études. Ensuite, elle a attendu, attendu, mais rien ne venait. Elle est refoulée dès la porte d’entrée quand elle vient déposer un CV ou demander à rencontrer le responsable du personnel… «Vous avez quelqu’un?»… «Non, je n’ai que Dieu…». «Eh bien, désolé mademoiselle… faudra chercher ailleurs, et puis l’histoire-Géo ça ne sert à rien, on n’a pas de poste pour vous, fallait pas faire cette filière… c’est votre erreur!».
Elle croit alors que c’est son erreur. Qu’elle est bête à la fin, qu’elle est hors de son temps.
Et puis non, peut-être pas, pas tant que ça, c’est pas sa faute, c’est celle des ses parents, qui n’ont pas su l’orienter, ou mieux, celle de l’Etat. Mais pourquoi accepte-t-il tant de monde dans ces filières s’il n’y a rien derrière…? Comment on est sensé manger nous? En vendant des cartes peut être?
Elle avait toujours les cheveux en l’air -de beaux cheveux du reste-, déjà châtains, et qu’elle a encore décolorés. D’où un blond criant, sur une peau blanche, et un corps assez féminin… Mais ça avait l’air d’être une malédiction plutôt qu’une bénédiction, ou un don de la nature. Elle commençait à entendre des gros mots dans la rue, dans le métro, à avoir honte de son corps, de ses formes… N’a-t-on pas le droit d’être femme? C’est si mauvais d’être belle?
Et puis ça se gâte de jour en jour, on ne mange plus de viande à la maison. Samedi soir, avant, on achetait des gâteaux, maintenant c’est 100 g de cacahuètes, la vie devient si chère… Et il n’y a pas l’ombre d’un homme: Oh mon prince charmant, où es tu? Quand est-ce que tu viens me sortir de là …?
Et puis «m… à la fin!» (je ne sais pas si le rédacteur en chef va effacer ce mot…). Tout va si mal on dirait, peut-être que c’est Dieu qui nous punit de s’être si éloignés de lui?! De la bonne parole, portée fort heureusement par ces hommes si pieux dans les télés par satellite….
Tant qu’à faire alors, et hop le sac, pardon, la jellaba, non, le linceul, oups, c’était un lapsus… Excusez-moi… Et elle dit au revoir à son beau corps, à ses cheveux. Elle fait partie de l’élite maintenant, puisqu’elle a renoncé, à cette vie de débauche, dans ce pays de débauchées, de Leila Ben Ali, la maudite, celle des droits des femmes… droit de boire jusqu’à l’aube et de se trimballer en micro et talents aiguilles? Non merci. Je n’en veux pas, je fais ma grève de la faim. Ce sera une place au paradis, à défaut d’une place sur terre.
Maintenant, elle a trouvé sa voie, la bonne voie. Dans la rue, elle ne passe jamais inaperçue… mais jamais de gros mots. Quel bonheur! Elle se penche sur le vendeur de livres étalés sur le trottoir, et achète un petit traité «la prière de la femme pieuse… pour son mari». Ah que c’est beau! Ne venez pas lui dire qu’elle est inculte, elle lit des livres maintenant! Et c’est peut-être utile, pour «attraper» un homme… plus utile que les cheveux blonds à la fin! Et oui, seuls les imbéciles ne changent pas d’avis…
C’était la faute à Bourguiba, qui nous a éloignés de Dieu! On ne connaît plus notre religion, quelle honte! Honte à nous! Mais voici la dernière chance, celle du salut. Il faut revenir à Dieu, et il nous donnera la pluie, une bonne récolte, et les marchés financiers vont se prosterner pour nous, ils nous donneront des prêts à 0%, et on construira des routes, des immeubles, des usines, on fabriquera des beaux produits, et des avions, et des médicaments… qu’on vendra aux Chinois, aux Brésiliens, par la grâce de Dieu…
Si vous préférez les termes savants, ce sera cela: la radicalisation identitaire et religieuse est induite par une déperdition sociale, économique, mais aussi des valeurs. Le salafisme c’est croire qu’avant c’était mieux. Que face à la mondialisation, aux crises financières, à la machine capitaliste, au chômage, à la corruption, à la faillite du système éducatif, et j’en passe… il n’y a pas d’espoir possible, espoir de création d’un nouveau monde, d’une nouvelle réalité… c’est arrêter de croire en son potentiel, en son intelligence.
Seulement, entre temps, la caravane passe, la caravane de l’économie passe et n’attend personne. Et on risque bien de la rater. On pense que ce n’est pas grave, que l’on est protégé dans notre petit monde -monde dans le monde j’ai envie de dire-, à l’intérieur de nos voitures, chauffées et climatisées, dans les trois, quatre cafés branchés qu’on fréquente, devant nos écrans plasma à regarder “Envoyé spécial“… Mais si on coule, on coule tous ensemble.