Dans un système économique néo libéral qui se dégage de toute responsabilité, peut-on exiger de l’entreprise d’être socialement responsable? L’hégémonie néo libérale n’est pas une fatalité. Un début de pression en faveur d’une gouvernance planétaire se fait jour.
Les opinions publiques ne doivent donc pas démissionner et laisser faire. Elles doivent s’indigner, pour utiliser un jargon d’actualité. Et même si le sommet de la terre, de Copenhague à Cancun, est mis à mal, on peut envisager de faire de la résistance à l’échelle maghrébine. Comment s’organiser pour faire émerger une plateforme régionale?
Un sommet maghrébin
C’est avec ce sentiment positif, dirions-nous, pour être optimiste, que l’on sort du séminaire maghrébin sur le thème de la responsabilité sociale de l’entreprise. Le séminaire a été porté avec beaucoup de foi par Mme Zeineb Attaya, ex-PDG de l’ARFORGHE, et il est relayé par la même ardeur par l’actuel PDG, Hatem BACHA. Il est régulièrement appuyé, avec la même ferveur, par l’Association Konrad Adenauer.
Ce rendez-vous maghrébin se profile, au fil des ans, comme un sommet régional du développement durable. Plus il explore le sujet et plus il gagne en notoriété et en crédit. Il acquiert, pour ainsi dire, une force de propositions.
Le néo libéralisme, un attentat au libéralisme
C’est par cette expression du célèbre sociologue et militant suisse, Jean Ziegler, que Pr Ridha BOUKRAA a entamé sa conférence inaugurale. Le conférencier a mis en relief l’antinomie entre le dogme néo libéral et les repères fondamentaux du développement durable. L’universitaire a reproduit le chemin qui a conduit jusqu’au diktat de la financiarisation de l’économie et son voile protecteur, le néo libéralisme. Cette pensée dominante focalise sur le rapport de l’entreprise au marché. Elle se résume en une combinaison entre capital et travail. Elle a généré des rapports sociaux conflictuels, a rappelé le conférencier.
Par ailleurs, elle a provoqué une profonde transformation de l’espace géographique. La manufacture, puis la fabrique, ensuite l’usine, puis la Zone industrielle, et enfin le pôle de compétitivité, ont impacté notre espace de vie. Elle a également modifié la physionomie sociale avec l’apparition de la bourgeoisie et du prolétariat, en un passé proche, et, de nos jours, des classes moyennes.
Produire à la fois des richesses et de la misère
Amère réalité. L’entreprise produit de la valeur dans l’absolu. Et, le système la distribue de manière inégale. Il en fait des richesses, pour les uns, et de la misère, pour d’autres. L’ennui est que ce schéma est transposé à l’échelle mondiale entre pays. Le Nord et le Sud, le Centre et la Périphérie, pays à économie avancée et pays en développement, sont l’envers et l’endroit d’une même réalité frappée du sceau du néo libéralisme.
La division internationale du travail est une implacable machine d’accumulation qui enrichit toujours plus les plus puissants, et dépouille aussi régulièrement les plus démunis, à travers la détérioration continue des termes de l’échange.
Le «Burn-out»
La concentration du capital pousse à la surconsommation. Elle a rongé les réserves de la planète. Rien n’est épargné. Le sous-sol est en voie d’épuisement. Mais qu’allons-nous donc laisser aux générations futures, s’interroge le Pr BOUKRAA? Triste interrogation qui rappelle que le mode de production néo libéral est bâti sur un crédo de la privatisation des profits et de la socialisation des pertes. C’est cela qui fait que l’entreprise se soucie peu de ses rejets, de ses émissions, de ses externalités. Elle a puisé, sans vergogne, dans le patrimoine collectif, les richesses minières et tant pis pour les autres. Qu’ils recyclent, si ça leur chante. Comble d’égoïsme et de cynisme. Avec les néo libéraux, il faut se contenter de ce qu’ils laissent. Pr BOUKRAA évoquera, d’ailleurs, la théorie des miettes et du ruissellement. Le système a laissé polluer au point que la dégradation de l’environnement nous expose à une rupture de l’écosystème. Cette logique de «burn-out» fera qu’on va léguer aux générations futures une épave de planète. Sans ressources et avec des conditions de vie intenables.
Le complot néo libéral: l’Etat minimaliste et la tyrannie de l’actionnariat
Ravager l’écosystème nous mènera vers un scénario catastrophe. Il ne s’agit plus de préserver le stock de matières premières, mais de la protection du cadre vital de l’humanité et d’un minimum de bien-être pour les populations. Mais le néo libéralisme tourne le dos à ces appels. La financiarisation nous a imposé l’actionnariat qui a totalement perverti les rapports sociaux. Il tient en joue le système. Des dividendes, des dividendes, toujours plus de dividendes, réclame l’actionnariat, glouton, avide et insatiable. Le toujours plus, l’ici et maintenant, sont ses seules préoccupations. Il exerce son ascendant sur toutes les considérations morales.
On a vu des entreprises, au même moment où elles licenciaient, leurs cours en Bourse flambaient. Oui, les licenciements réduisent les charges salariales et dopent les bénéfices, augmentant par là-même les dividendes. Et, pour distribuer toujours plus de profits, l’entreprise ne doit pas prendre en charge ses externalités dévastatrices, afin de ne pas plomber ses comptes.
Qui peut contrer le système? C’est l’Etat grâce aux lois. On comprend dès lors l’animosité du néo libéralisme contre l’Etat. Ronald Reagan, chantre du néo libéralisme, ne disait-il pas «l’Etat, c’est le problème et pas la solution». Et l’emprise mondiale de l’intégrisme néo libéral fait que le système peut bloquer des initiatives pourtant planétaires tel le Sommet de Copenhague.
Le triomphe de la gouvernance: utopie ou réalité?
La conscience mondiale s’éveille à cette épée de Damoclès qui pèse sur la survie de l’humanité. Une poussée de gouvernance est en train de gagner du terrain. Le paradigme du développement durable commence à se profiler comme la solution de dernière chance. Il faut le porter à bras le corps.
A l’échelle du Maghreb, peut-on faire avancer la cause du développement durable, dans cette anarchie néo libérale ambiante? Economies satellisées par nos partenaires économiques, ordonnateurs hégémoniques, nous ne pouvons nous soustraire à leur exigence de compétitivité. Nous aussi on est dans une logique de déni des contraintes du développement durable. Les Etats, seuls, ne font que subir, même si leur engagement en faveur de la gouvernance est manifeste et sincère. On peut juger par la mobilisation de la Tunisie en faveur de la maîtrise de l’énergie.
Les opinions sont en train de bouger. L’action de l’Arforghe est à perpétuer. C’est une vague qui lève. La société civile doit appuyer les programmes publics. La rencontre de Tunis sert de laboratoire aux pays maghrébins. On en est encore à des politiques isolées. Mais ce brassage d’idées plaide à l’évidence en faveur d’un socle commun, à l’avenir. Dans l’attente d’une dynamique collective? Là est toute la question.