La politique monétaire touche à ses limites. La politique budgétaire n’en est pas loin de saturer. La marge de manœuvre pour la relance se réduit.
Quand la Banque centrale dit son mot, il a valeur de sentence. La Grande Dame de la rue de la Monnaie opère en silence en temps normal. Cette fois, elle prend le risque de créer le buzz. Au mois de février dernier, du haut de la tribune du Forum de Davos, le gouverneur avait envoyé un message simple au gotha mondial de l’industrie et de la finance: «la Tunisie n’est pas en crise». Et même si Moody’s nous avait déclassé. On a été entendu. L’on n’a pas usé de bluff, mais de raison. L’économie était perturbée mais nos réserves de change nos fondamentaux étaient à leur palier supérieur.
Ce même crédit d’audience a joué au mois de mai dans le saint des saints, le carré en or, le G8. Aujourd’hui, la BCT dit qu’on est sur le fil du rasoir. Comment dès lors décrypter son message?
Gare au déclassement et à la sanction des marchés
A Davos, la communauté d’affaires internationale nous a accordé un répit. Mais nous étions gardés en observation. Depuis, trois trimestres se sont succédé avec une croissance en berne. Le quatrième pointe le nez sans qu’on voie de reprise. Fatalement on entre en récession. Plus dur sera l’effort de relance. Or, le conseil de politique monétaire a épuisé toutes ses munitions. Les réserves obligatoires des banques ont été ramenées à leur étiage. En trois fois, elles ont baissé de 12,5 à 2,5%. Le taux du marché monétaire est au raz du sol. Or la BCT, de tradition, a toujours veillé à ce que le taux d’intérêt dépasse le taux d’inflation. Ce n’est peut-être plus le cas aujourd’hui. L’ennui est que les instruments monétaires ont joué à fond sans parvenir à inverser la vapeur. Nous abordons le quatrième trimestre après la révolution, mais la croissance n’est toujours pas au rendez-vous.
Abaissée à BBB-, soit son niveau initial de 1995, ce qui signifie qu’on a rétrogradé de 15 ans! -on a fait fort!-, notre note est assortie d’une appréciation négative, ce qui signifie qu’au moindre faux pas on passe en classe C. Il n’échappe à personne que la classe C est un grade «spéculatif», et pourrait nous coûter une surprime d’intérêt.
A titre d’exemple, la France, sur un simple avertissement de déclassement, a subi une surcote de 2%. Les experts ont calculé que cela lui coûterait 3 milliards d’euros soit la contrevaleur de 6 milliards de dinars. Or, la marge de manœuvre budgétaire est le seul mécanisme d’intervention qui nous reste. Notre déficit est passé de 2 à 7% pour panser les plaies de la révolution. On nous à l’œil. Faute de retour de la croissance, on devra manœuvrer sur le fil du rasoir.
Faut-il jeter le Plan économique Jasmin aux orties?
En face de nous, l’Italie traverse une période de crise également. Elle a choisi de remercier un gouvernement politique et désigner un gouvernement de technocrates. Une équipe qui sait parler aux marchés et qui s’est mise au travail en un temps record. Cela a rassuré les marchés. Nous nous apprêtons à faire l’inverse. Et puis demain, quand il faudra aller au charbon, devons-nous retravailler notre copie pour la relance économique?
Le Plan Jasmin a le mérite au moins de sa cohérence. Prêt à l’emploi, il a même été validé par les bailleurs de fonds internationaux. N’est-il pas plus prudent de le garder quitte à le retoucher, au besoin?
La Banque centrale nous rappelle que les marchés de même que nos partenaires économiques ont besoin de visibilité. Et quelles que soient ses lacunes, le Plan Jasmin en offre une. Et ils ont, également, besoin de lisibilité. La démarche technocratique y pourvoit. Celle des politiques est à construire. Cela peut prendre du temps.
Ayant pris l’option d’appeler aux affaires une classe politique nouvelle, dépourvue de benchmarking, pour diriger le pays, il faudra satisfaire à ces deux contraintes, rapidement. Or, dans l’état d’effervescence actuelle qui accompagne le casting gouvernemental, il y a comme une dispersion des pouvoirs. On avait besoin de rétablir la sécurité et de faire revenir la confiance. Un président qui ne coiffe pas les forces de l’ordre, et qui ne dispose pas du pouvoir de dissolution de l’Assemblée n’est pas le signal d’un pouvoir fort. Et puis, la BCT a besoin de préserver son indépendance qui est la caution de sa neutralité et de son efficacité. N’oublions pas que la BCT répond de la qualité de la signature du pays. Il faudra s’en rappeler.