«Je pense que la victoire d’un parti islamique en Tunisie et vraisemblablement en Egypte ne constitue pas un obstacle pour le développement des relations avec ces pays et le monde arabe en général. L’Islam fait partie de l’histoire culturelle et politique des pays arabes et ne doit pas constituer un problème», estime Norbert Lammart, président du Bundestag (le Parlement allemand) et seconde personnalité dans la hiérarchie politique allemande, devant une quinzaine de journalistes arabes et allemands.
Pour lui, le modèle islamique est une expérience à partager qui ne devrait pas éveiller des craintes. «Il ne faut pas oublier qu’en Allemagne, c’est le parti chrétien démocrate à tendance religieuse qui a remporté les élections après la révolution de 1989. Et c’est lui qui détient le pouvoir actuellement», affirme-t-il, en ajoutant que l’important c’est de respecter le processus démocratique et de sauvegarder les droits de l’Homme, quelles que soient les orientations du parti au pouvoir.
Méfiance et optimisme…
Des déclarations qui cachent tout de même une certaine méfiance, malgré une note d’optimisme que M. Lammart a voulu montrer. Et avec l’instabilité politique que connaît encore la Tunisie après les élections de l’Assemblée constituante, il y a de quoi se méfier. De même pour l’Egypte actuellement. L’expérience allemande est certainement à méditer, mais elle ne peut nullement être copiée telle quelle, estime le responsable allemand. «Il est difficile de transférer les expériences historiques d’un pays à l’autre. Chaque pays a ses spécificités et doit trouver seul son chemin vers la démocratie».
Ceci étant, les responsables politiques allemands regardent avec intérêt l’évolution du processus démocratique en Tunisie. Une évolution qui tracera sans doute la coopération allemande sur le plan politique. L’expérience allemande est certainement unique. Le parti chrétien démocrate a réussi à établir un modèle démocratique qui a fait sortir l’Allemagne du socle de la division et de la dictature nazie. La Tunisie et les pays arabes en général ont beaucoup à apprendre de cette expérience.
Intérêt…
D’ailleurs, bien que les propos de M. Lammart puissent réconforter certains, le jugement des politiciens allemands sur le processus démocratique –espérons-le- se fera par rapport à l’application des programmes politiques. La visite du président du Bundestag en Tunisie, ce 6 décembre 2011, s’inscrit dans ce cadre bien précis. Il indique que les évolutions politiques en Tunisie et en Egypte, essentiellement, peuvent renforcer la coopération parlementaire entre l’Allemagne et ces deux pays. Une question qui n’était pas assez développée auparavant.
Les Allemands sont certainement des spectateurs attentifs de ce qui se passe actuellement dans notre pays et dans les pays arabes. Ils tirent leur point fort des fondations politiques, très actives, du reste, à l’intérieur et surtout à l’extérieur de l’Allemagne, et ce d’autant plus qu’elles jouent un rôle fondamental dans l’orientation de la politique extérieure allemande. Konrad Adenauer Stiftung est l’une d’elles, sachant qu’elle est parrainée par le parti chrétien démocrate.
Cette fondation, qui a un bureau à Tunis, a organisé récemment une académie arabo-allemande pour jeunes journalistes à Berlin sur un thème d’actualité, en l’occurrence «le Printemps arabe et ses enjeux pour l’Allemagne». Une manière de savoir plus sur les attentes des jeunes arabes concernant les évolutions actuelles, s’inscrivant dans le cadre d’un dialogue interculturel.
Nous étions quatre jeunes journalistes tunisiennes à avoir participé à cette académie, cinq autres venus du Maroc, d’Egypte, de Syrie, d’Oman et d’Arabie Saoudite, et quatre journalistes allemands. Un intérêt qui montre une certaine appréhension spécifiquement allemande dans l’approche des évolutions actuelles dans le monde arabe.
Craintes…
La fascination pour la révolution tunisienne exprimée par différentes personnalités politiques nous a fait oublier un moment les tergiversations politiques que traverse notre pays actuellement. Le monde entier regarde la Tunisie, peut-être que c’est l’étonnement qui l’emporte en ce moment étant que c’est le pays d’où est partie les révolutions arabes.
Toutefois, cette admiration pourrait vite se transformer en crainte si la démocratie au nom de laquelle se sont sacrifiés des milliers de personnes dans le monde arabe ne se réalisait pas. Les révolutions arabes ont été vécues comme une surprise, selon Almut Möller, représentante du conseil allemand des affaires étrangères; une surprise qui s’est transformée en un soutien au processus démocratique mais qui est en train de virer des craintes pour l’avenir. Dans ce cas, «il est légitime de se poser la question de savoir les Arabes sont-ils vraiment prêts pour la démocratie», souligne-t-elle.
La lutte continue encore et ce qui se passe au Bardo devrait nous indiquer davantage que la démocratie s’apprend, elle ne s’inculque pas.