En Arabie Saoudite, comme en Iran, en Indonésie et en Somalie, la police
religieuse est connue pour ses «faits d’armes». Ici, on arrête une femme
attablée à un café avec un «étranger» et l’on interdit les roses rouges. Là on
scrute le moindre trou fait exprès dans un jean. Ailleurs, on distribue des
tuniques larges et longues de couleur noir.
Pourrait-il en être ainsi en Tunisie?
On est en mars 2002, dans la ville sainte de La Mecque. Un incendie éclate dans
une école de jeunes filles. Les «Moutawa» refusent, selon les informations
diffusées dans la presse internationale, de «laisser des jeunes filles sortir
dévoilées du brasier».
Il s’agit là sans doute de l’un des «faits d’armes» des Moutawa, cette police
religieuse largement connue en Arabie Saoudite où elle veille au grain en
matière de respect scrupuleux de la
Chariaâ.
Février 2008, les médias saoudiens font état de l’arrestation d’une femme
d’affaires du nom de Yara dans un café pour seul et unique crime de «partager
une tasse de café avec un autre homme d’affaires syrien».
«Activités illégales et anti-islamiques»
Yara est coupable d’avoir «violé les règlements et le droit islamique qui
n’approuvent pas le mélange des hommes et des femmes sur les lieux de travail».
Les Moutawa précisent que Yara et son invité avaient le tort de se retrouver
dans la «section famille des cafés réservée aux familles et aux proches» (sic).
Les journalistes d’Al watan et d’Okadh, qui commentent l’événement en remettant
en cause la manière dont Yara est arrêtée, sont accusés par la police religieuse
de «soutenir des activités illégales et anti-islamiques».
Août 2009. Les Moutawa perturbent certains festivals d’été sur lesquels
tablaient pourtant les autorités du royaume pour booster le tourisme intérieur.
Ainsi, le Festival du cinéma de Djeddah est tout simplement annulé. Et des
concerts de musique sont déprogrammés au Festival de tourisme d’Abha, au sud de
l’Arabie saoudite.
Inutile de préciser qu’il ne s’agit pas des seules interventions de la police
religieuse en Arabie Saoudite. La presse internationale et saoudienne a
rapporté, par exemple, comment les Moutawa ont interdit des extensions des
terrasses de cafés sur les trottoirs, car «ceci attire les jeunes qui viennent
perdre leur temps et raconter des blagues».
Comme ils ont interdit les roses rouges «considérées comme symboles de l’amour».
Le courroux des acteurs de la Commission pour la promotion de la vertu et la
prévention du vice s’est, à ce propos, focalisé sur la Saint-Valentin, une «fête
qui encourage les relations des hommes et des femmes en dehors des liens de
mariage».
Attention aux «crêtes iroquoises»
Les exagérations des Moutawa ont été telles que les autorités saoudiennes ont
limogé, en 2009, un des anciens dirigeants de cette Commission, Ibrahim Al-Gheit.
Changement de décor. Nous sommes en Iran où la police religieuse a un nom: les
Basij. Là encore, cette police ne laisse rien passer. A commencer par la … coupe
des cheveux. Attention, donc, aux coupes pittoresques comme la fameuse «crête
iroquoise», fréquente dans les tribus indiennes d’Amérique et popularisée par le
mouvement punk.
Largement présents dans les villes iraniennes, les membres de cette police
habillés en uniforme vert, pour les hommes, et en tchador noir, pour les femmes,
arrêtent les jeunes qui dérogent aux règles s’appliquant quelquefois même à
réprimander les jeunes qui exagèrent le volume de gel qu’ils mettent dans les
cheveux, et scrutent le moindre trou fait exprès dans les jeans.
Présente en Indonésie ou du moins dans certaines contrées de ce pays musulman du
Sud-est asiatique, comme dans la province d’Aceh, située au nord de l’île de
Sumatra et forte de quelque 1.500 fonctionnaires, elle s’attaque, entre autres,
aux jeans, robes ou jupes jugées moulants. Et intiment l’ordre à celles qui les
portent d’enfiler sur le champ des tuniques larges et longues de couleur noire.
Les fonctionnaires de cette police, connues sous le nom des chemises vertes,
visitent quotidiennement les plages et autres lieux de promenades pour séparer
les couples discutant «de manière trop rapprochée». En répétant à ces couples
que le «Tsunami» (tremblement de terre), qui a déferlé sur la contrée, en
octobre 2010, provoquant environ 500 morts, est une «punition de Dieu» pour «non
observation des bonnes pratiques religieuses».
On ne pourra pas clore ce panorama sans évoquer les «Shabab» somaliens, ces
milices qui contrôlent une bonne partie du centre et du sud de ce pays de la
Corne d’Afrique qui disent vouloir faire respecter «les bonnes pratiques» de
l’Islam. Outre évidement le
Hijab qu’ils imposent aux femmes, ils veillent à ce
que tous les hommes se laissent pousser la barbe et rasent la moustache.
En sera-t-il ainsi en Tunisie? La question travaille de nombreux esprits dans
notre pays depuis que la police religieuse qui se nomme l’Association de la
Promotion de la Vertu et de la Prévention du Vice a été créée. Fondée, mais non
reconnue, celle-ci aura à faire avec la loi qui ne peut qu’interdire ce type de
structure, insistent les plus optimistes. De plus, la société civile réagira à
coup sûr en cas de dépassements, assurent les mêmes parties.
Cependant, la partie semble du reste loin d’être gagnée. L’insécurité qui
prévaut dans le pays, le chaos qui ne finit pas de s’installer dans des pans
entiers de la société et l’attitude des autorités qui mettent, aux yeux de
certains, du temps pour réagir, sont de nature à encourager tous les excès.
Il est, par ailleurs, à craindre que le dogmatisme qui habite les promoteurs de
cette association et de ses projets ne les poussent un jour ou l’autre à
accomplir l’irréparable.
Il est encore à craindre qu’une certaine loi du silence, une sorte d’Omertà, se
saisisse de nombreux citoyens qui laisseront faire sans réagir. Sans oublier que
certains politiques pourraient être complices dans l’espoir de faire jouer le
fait accompli et de «capitaliser» des mœurs et des pratiques qu’ils espèrent
installer au fur et à mesure.
Donc, attention !