“Trahis” et “pessimistes”, les SeaFrance ne naviguent plus depuis un mois

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és de SeaFrance rassemblés à Calais, le 16 novembre 2011 (Photo : Denis Charlet)

[14/12/2011 07:04:59] CALAIS (Pas-de-Calais) (AFP) “Un gâchis pareil, c’est invivable”, se désole un matelot de SeaFrance, qui comme ses collègues se sent trahi et frustré, alors que leurs bateaux sont à quai depuis un mois et que seule une offre non financée de coopérative est en lice pour reprendre leur compagnie.

Cette filiale de la SNCF lourdement déficitaire a été placée en liquidation judicaire avec poursuite de l’activité, le 16 novembre. La veille, la direction interrompait le trafic des ferries entre Calais et Douvres, invoquant des raisons de sécurité, jugées injustes et infondées par la CFDT.

“On est un peu comme des assignés à résidence. L’outil de travail est là et on nous dit : +Dégage+”, se fâche Dominique, agent hôtelier de 44 ans, dont 23 chez SeaFrance.

Un sentiment partagé par Yann Leprêtre, matelot de 35 ans, joint par téléphone alors qu’il assurait la sécurité d’un des navires de la compagnie. “On s’ennuie, on n’a pas de travail à faire si ce n’est surveiller les amarres et faire des rondes”, raconte-t-il.

“Pourquoi les bateaux sont-ils cloués à quai ?”, s’indigne-t-il. “On se rend vraiment compte qu’il y a de la demande, alors quand on voit le quai rempli de (camions de) fret pour la concurrence, un gâchis pareil, c’est invivable”, regrette ce père de deux enfants, qui a déjà commencé à chercher un nouvel emploi.

Coups de fil, passages au local syndical… Inquiets, les collègues se tiennent au courant du moindre développement. Et pour tuer le temps, “on s’occupe, on bricole à la maison, on attend…”, témoigne un délégué de bordée qui veut rester anonyme.

“Ca fait un coup au moral, les fêtes de fin d’année arrivent et on se demande comment ça va finir, on se sent pris dans un piège. C’est désolant, on préférerait que les bateaux naviguent et on est là, à la maison”, ajoute-t-il.

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à Paris, le 25 octobre 2011 (Photo : Patrick Kovarik)

Et quand on pousse la porte de l’agence SeaFrance, place d’Armes à Calais, le responsable renvoie le client vers… le concurrent P&O, dont la boutique, juste en face, ne désemplit pas depuis un mois.

Un panneau d’affichage devenu inutile trône dans un coin de la boutique SeaFrance, proposant des voyages “visite et shopping” d’une journée en autocar pour Londres. En grosses lettres, quatre dates pour les week-end précédant les fêtes en décembre, sur des ferries qui ne sont jamais partis.

“Tout le monde est pessimiste”, explique Franck, employé à la restauration à bord. “Il ne reste que la Scop pour sauver SeaFrance, mais il n’y a pas de financement total”, souligne-t-il.

Ce projet de coopérative ouvrière porté par la CFDT (85% du personnel navigant) est aujourd’hui seul en lice, après que Louis Dreyfus Armateurs, associé au danois DFDS, a jeté l’éponge lundi, date limite pour le dépôt de nouvelles offres de reprise de SeaFrance.

“La SNCF et l’Etat n’ont pas assumé leur rôle”, accuse un membre du personnel à terre “trahi et amer”, qui veut rester anonyme. Il déplore aussi l’attitude de la CFDT, qui a refusé une réunion de concertation avec DFDS, “or ça aurait peut-être sauvé la moitié des emplois”.

La plupart n’attendent pas la liquidation définitive, qu’une rumeur prédit “entre Noël et Nouvel An”, pour commencer à chercher un emploi.

“Le domaine maritime dans le coin est sinistré”, constate Yann Leprêtre. “La plupart des collègues essayent de trouver une nouvelle formation, il y a bien la marine de pêche, mais c’est de longues campagnes et ça ne rapporte rien”.

“Une reconversion, mais dans quoi ? J’ai fait des navires de commerce, du long courrier, après plus de vingt ans de vie de marin, pas facile de se retourner !”, dit Dominique.