««Vous serez peu à peu naturalisée plus musulmane… (satatatabbaiiina)». C’est ainsi que s’est gentiment adressé à moi un militant nahdhaoui, lors de la conférence de presse organisée mercredi 14 décembre au siège du parti pour annoncer la naissance du mouvement estudiantin “Jeunesse d’Ennahdha à l’université”. Il voulait par cela dire que peu à peu, je me plierais à la nouvelle culture ambiante du pays…
La remarque suivait une petite altercation avec une adhérente au parti qui expliquait cyniquement à une consœur journaliste que le jeune homme qui lisait le coran avant le début de la conférence ne «faisait pas de la voyance» mais suivait plutôt un rituel désormais bien installé au sein du parti et qui consiste à démarrer toutes les manifestations publiques par la lecture du coran.
Soit ! C’est le signe sans équivoque que le parti Ennahdha est d’obédience religieuse. Nous devons maintenant, tous journalistes que nous sommes, nous habituer à ces préambules et un autre activiste d’ajouter: «Madame, pourquoi nous reprochez-vous ces pratiques alors que dans les pays européens les plus démocratiques, nous assistons à des manifestations religieuses des plus hautes instances de l’exécutif, pourquoi les critiquez-vous ici et les tolérez-vous ailleurs?».
Il a raison? Tort? Il est vrai que nous n’avons pas été jusque-là habitués à ce genre de pratiques, et ce n’était en tout cas pas le thème de la conférence. Ennahdha a donc annoncé par la bouche du responsable des jeunes le lancement d’une nouvelle mouvance estudiantine, qui se déclarait auparavant indépendante, et qu’on découvre aujourd’hui nahdhaoui, à l’université.
«La présence des étudiants lors de la révolution a permis, grâce à la Kasbah 2, en compagnie d’autres jeunes élites, de mettre le pays sur la voie de la démocratie, de la justice sociale et d’une société pluraliste et solidaire. Toutefois, c’est à un désert politique et culturel qu’a abouti le mouvement estudiantin, conséquence de politiques et autres pratiques d’oppression et d’éradication méthodiques dont ont été victimes les étudiants islamistes, nombreux à avoir été emprisonnés ou s’être expatriés». Pour y remédier, les étudiants nahdhaoui, qui ont décidé de s’organiser, comptent s’intégrer dans une dynamique de restructuration de l’Université pour rompre avec le passé.
C’est donc «La jeunesse d’Ennahdha à l’université» qui, désormais, assumera le rôle de:
– oeuvrer à la réalisation des objectifs de la révolution, à savoir la liberté, la dignité et l’emploi;
– enraciner l’identité arabo-islamique au sein de l’université;
– défendre les intérêts matériels, moraux et pédagogiques des étudiants et consolider leur droit dans l’organisation politique et syndical;
– participer à la réforme de l’enseignement, au développement de la recherche scientifique et au rayonnement de l’université sur son environnement économique, social et culturel;
– participer à la construction d’un environnement universitaire pluraliste et l’enrichissement de l’espace politique et culturel;
– encadrer les étudiants et enraciner chez eux les valeurs citoyennes en les incitant à participer plus à la chose publique;
– soutenir les révolutions arabes et lutter contre toute velléité de normalisation avec Israël en considérant que la question palestinienne est une question centrale pour la nation arabo-musulmane, il va falloir peut être s’entendre avec le Cheikh Rached, qui n’en parle plus depuis la campagne électorale…
Ces jeunes étudiants comptent également participer à l’élaboration des cursus universitaires de manière à ce qu’ils correspondent à la demande du marché de l’emploi.
En somme, tout un programme ! Trouveront-ils le temps d’acquérir le savoir avec des agendas aussi chargés? Qu’à cela ne tienne, déclare le premier concerné chargé de la coordination des actions de la jeunesse d’Ennahdha: «Rien n’empêche l’autre, après tout ceux qui dirigent aujourd’hui le pays ont été autrefois des militants dans les universités tunisiennes et c’est le rôle de l’université grâce à l’exercice quotidien de la chose politique et sociale de créer les élites».
Quant à l’Union générale des Etudiants tunisiens qui réunissait tous les mouvements estudiantins, «eh bien elle devrait aujourd’hui accepter le jeu démocratique et le pluralisme. Nous ne voulons pas, par ailleurs, être comparés aux jeunes du RCD, l’ancien parti au pouvoir, nous sommes différents, nous avons été leurs victimes».
Concernant les événements de La Manouba et la position de la Jeunesse Ennahdha, le porte-parole a prétendu tenir au centrisme et être prédisposé à un accord consensuel avec tous les autres mouvements estudiantins mais c’est à la base de juger et de s’allier à qui elle veut. «Ennahdha est un parti centriste rassembleur, la preuve, nous avons été les vainqueurs des élections mais nous avons tenu à constituer une coalition avec d’autres partis pour gouverner avec nous»…«Nous sommes contre l’extrémisme d’où qu’il vienne mais nous estimons que l’administration de l’université de La Manouba n’a pas su gérer le problème des nikabées et a privé des milliers d’étudiants des cours à cause de sa mauvaise gestion du problème. Ceci étant, nous condamnons la violence sous toutes ses formes ».
Toutefois, hormis la volonté d’être plus présents, plus visibles et plus agissants sur le terrain universitaire, on n’a pas remarqué, une position claire et tranchante quant aux pratiques des salafistes dans l’université tunisienne. «Nous ne voulons pas les condamner publiquement ou les écarter brutalement, c’est par la voie du dialogue et de l’argumentaire religieux que nous pourrions arriver à des accords avec eux. Nous éviterons ainsi d’entrer dans un face à face qui risquerait d’accentuer le phénomène du nikab dans nos universités. Tout ce qui est interdit suscite l’engouement de la jeunesse».
Parfait. Espérons que cette sage opinion sera appliquée à tous les aspects de la vie des Tunisiens.
– Tous les articles sur