La Tunisie, un an après l’acte solennel de Mohamed Bouazizi, est presque méconnaissable. La Révolution que certains médias français ont qualifiée de “Révolution du jasmin“, et que les Tunisiens qualifient de celle de la “dignité et de la liberté“ est partout.
Elle est dans cette nouvelle classe politique qui se chamaille allègrement au sein de l’ANC –Assemblée nationale constituante- pour partager un pouvoir acquis par les premières élections démocratiques et qui n’en finissent pas de nous dévoiler les multitudes facettes de l’élite tunisienne, partagée entre divers partis et obédiences dont beaucoup de gens ne soupçonnaient même pas l’existence…
Elle est dans ce pays longtemps interdit d’expression et qui se révèle à lui-même et au monde, riche, multiple, mais plutôt conservateur et pro islamiste sans pour autant se livrer totalement aux barbus de Ennahdha ou des salafistes qui font beaucoup de bruit et de l’ombre avec leur habit à la pakistanaise et leurs femmes «mounaquabbat», de la tête au pied, souvent en noir.
Ce pays est aussi celui des milliers des jeunes désœuvrés et en chômage sans perspective aucune dans les cités populaires et les villes de l’intérieur qui ne cessent de manifester, de couper les routes, de bloquer les entreprises et de chahuter -des fois très violement- pour dire qu’ils sont là et qu’ils n’ont encore rien eu depuis la fuite de Ben Ali un certain 14 janvier 2011…
Cependant, même si tout n’est pas rose, loin s’en faut, la Tunisie, un an après le 17 décembre 2010, peut fièrement exhiber un bilan plutôt positif de sa révolution… Un mois de révolution très violente au début n’a quand même pas causé des grands dégâts matériels et humains, comparativement à l’arsenal répressif que l’ancien pouvoir avait mis en place et qu’il n’a eu ni le temps ni les moyens de l’utiliser… La révolution tunisienne a montré au monde un peuple révolté mais qui continuait à aller au boulot tous les matins, vaquant à ses occupations et tenant à conserver ses acquis politiques et matériels cumulés depuis 55 ans d’indépendance et très chèrement payés par tous les Tunisiens. Une période transitoire a suivi le départ précipité de Ben Ali… Il y a de la cacophonie, des hésitations, du temps perdu, Les Kasbah1 et 2, les manifs de l’intérieur et les grandes casses dans beaucoup de villes contres les forces de l’ordre et contre les locaux du RCD. Mais en somme, et depuis l’arrivée de Béji Caïd Essebsi, un 6 mars 2011, les choses se sont calmées, la Haute Instance de Ben Achour a fonctionné tant bien que mal et a permis, le 23 octobre, la tenue des premières élections démocratiques du pays, ayant abouti à la mise en place d’une nouvelle donne…
Sans doute, la Tunisie est encore en convalescence, donc pas totalement guérie. Elle peut le rester encore un moment. C’est surtout l’économie qui a accusé le coup et c’est normal. Les autorités gouvernementales sortantes et celles de la BCT ont tiré la sonnette d’alarme. Les nouveaux responsables sont conscients de la «quadrature du cercle» comme Moncef Marzouki, le nouveau président de la République, l’a déclaré dans son discours d’investiture. La quadrature du cercle entre un pays dont l’économie est à genoux et dont la croissance est quasi-nulle et les demandes et les aspirations d’une population de presque un million de chômeurs avec beaucoup d’autres qui sont à la limite du chômage.
Mais les révolutions sont aussi des moteurs d’énergie et d’utopies constructives, et l’histoire nous le montre. La Tunisie est maintenant démocratique et cette dynamique est créatrice de valeurs. La Tunisie sera gouvernée peut-être par des conservateurs, mais ces derniers savent qu’ils doivent se muer en des progressistes qui créent de la richesse. La Tunisie est riche d’une opposition progressiste et démocratique qui ne manque ni d’idées ni de combattivité nécessaires pour faire avancer le processus de changement qui est à son début.
Enfin, la Tunisie, un an après l’immolation de Mohamed Bouazizi, est vraiment ce laboratoire que 300 millions d’Arabes suivent à la loupe pour s’en inspirer dans un printemps arabe qui ne fait que commercer à éclore malgré toutes les entraves, et elles sont immenses…