Un «modèle tunisien» parti de la Place d’Al Kasbah et qui a essaimé dans le monde arabe. Vrai ou faux, le fait est là: la symbolique est venue bel et bien de Tunisie. La ressemblance avec la Place Attahrir (Place de la libération), au Caire (Egypte), la Place Attaghir (Place du changement), à Sanaa (Yémen), la Place Achajara (Place de l’Arbre), à Benghazi (Libye), et la Place d’Al Loualoua (Place de la Perle), à Manama (Bahreïn) est en effet à s’y méprendre: le choix d’un espace pour «matérialiser» la révolte et des «actions» pour lui donner un sens.
Nous sommes le 14 janvier 2011. Une masse compacte se forme, dans la matinée, devant le bâtiment abritant le siège du ministère de l’Intérieur, avenue Habib Bourguiba, à quelques encablures de la Place d’Afrique, au centre de Tunis. Les manifestants viennent demander le départ du président Zine El Abidine Ben Ali, mis à mal par une révolution qui a démarré, le 17 décembre 2010, lorsqu’un marchand ambulant décide de s’immoler par le feu.
Ils brandissent des cartons sur lesquels ils ont inscrit des slogans qui resteront pour la postérité: «Game over», «Dégage»… Et qui seront repris ailleurs. Le soir, la foule des manifestants apprendra que Ben Ali a quitté, à la hâte, la Tunisie avec son épouse Leïla Trabelsi.
Fleuron du printemps arabe
Le soir également, des milliers de Tunisiens découvrent le récit de cette journée mémorable décrits par des vidéos amateurs qui immortalisent l’événement. Des images quasi similaires tentent également d’immortaliser les événements d’Al Kasbah 1 et Al Kasbah 2, qui se dérouleront plus tard dans un autre lieu mythique de la révolution tunisienne, fleuron, sans doute, du printemps arabe: la Place du gouvernement d’Al kasbah.
La place du Bardo viendra s’ajouter, courant novembre 2011, aux deux lieux cités plus haut. Cette belle esplanade, coincée entre la station du métro du même nom et les grilles du bâtiment accueillant les travaux de la Constituante, sert de réceptacle aux doléances des manifestants venus s’opposer aux desseins «hégémoniques» de la Troïka: Ennahdha, Ettakatol et CPR.
Que ce soit à la Place du gouvernement d’Al Kasbah ou sur l’esplanade du Bardo, les manifestants opèrent de la même manière: ils plantent des tentes, s’engoncent dans des couvertures, mangent, boivent… et discutent. En brandissant des banderoles pour présenter des revendications pour lesquelles ils bradent le grand froid.
Comme ils reçoivent, quelquefois, les insultes voire les coups de certains «contre-manifestants» qui veulent les déloger. Voire des insultes et des coups venant d’autres parties. Ainsi que des sandwichs et d’autres vivres offerts par des «bienfaiteurs». Ils reçoivent également, des sommes d’argent, soupçonnent quelques uns, pour qu’ils continuent à tenir bon.
Une «mise en forme» tunisienne
Le même scénario et les mêmes scènes ou presque ont été vus ailleurs, ou presque, sous d’autres cieux, dans d’autres pays que le printemps arabe a visités: l’Egypte, le Yémen, la Libye et le Bahreïn.
Toutes se déroulent dans des lieux qui resteront sans doute à tout jamais dans l’histoire comme des espaces où les révolutions se sont faites. Où le peuple est venu exprimer son courroux. Des lieux, donc, aussi mythiques que la Place du gouvernement d’Al kasbah, à Tunis. Ils ont pour nom la Place Attahrir (Place de la libération), au Caire (Egypte), la Place Attaghir (Place du changement), à Sanaa (Yémen), la Place Achajara (Place de l’Arbre), à Benghazi (Libye), et la Place d’Al Loualoua (Place de la Perle), à Al Manama (Bahreïn).
Dans cette dernière place, les autorités iront jusqu’à détruire le monument pourtant combien important en matière de communication du vécu du peuple bahreïni: situé sur cette place, il comporte six voiles de boutres blanches qui s’élèvent vers le ciel et supportent une perle à leur sommet.
Cette symbolique fera dire à certains qu’il y a bel et bien un «modèle tunisien» qui a essaimé dans le monde arabe. Vrai ou faux, le fait est là: la symbolique de la Place d’Al Kasbah est venue bel et bien de Tunisie. Souvent, comme décrit plus haut, elle est en effet à s’y méprendre: le choix d’un espace pour «matérialiser» la révolte et des «actions» pour lui donner un sens.
Quoi qu’il en soit, les faits sont têtus et retiendront qu’il y a une «mise en forme» de la révolution inaugurée en Tunisie et qui s’est exportée dans le reste des pays touchés par le printemps arabe.
D’autres diront que cela n’a rien de vraiment «tunisien». Toutes les révolutions ont été associées à des lieux mythiques fêtés par les peuples. A commencer par la Révolution française, de 1789, qui est avant tout symbolisée par la prise de la Bastille: entendez la forteresse de la Bastille devenue plus tard la Place de la Bastille, en passant par les rondes hebdomadaires des Mères de la Place de mai, place située en face de la «Casa Rosada», siège du gouvernement, à Buenos Aires, en Argentine. Celles-ci ont fini, on le sait, en exerçant, depuis 1977, une pression sur les généraux responsables de la disparition de leurs fils, par avoir raison de la dictature militaire en 1983.