Une année déjà! Le 17 décembre 2010, immolation de Mohamed Bouazizi, devenu depuis, héros emblématique de la révolution tunisienne. Le 17 décembre 2011, on aimerait croire que beaucoup de nos espoirs ne se soient pas immolés. La date du 17 décembre était inscrite dans nos mémoires. Le peuple, comme un seul homme, était en attente de cette célébration. Il y a un élan national de recueillement. Nous leur sommes redevables. Et si le sentiment de gratitude est unanime, l’indice de satisfaction, comme disent les communicateurs, est mitigé. Nous sommes toujours dans l’expectative et le peuple est tenu en haleine. Une année c’est beaucoup et peu à la fois. En l’espace d’un an on ne peut, c’est vrai, présenter la gerbe de fleurs et un bilan bien rempli. Mais c’est quand même assez de temps pour exhiber une feuille de route concrète. Pour qu’ils puissent reposer en paix, au moins qu’ils sentent qu’on fait bon usage du legs pour lequel ils ont payé le prix fort.
Assez du mirage du «nouveau modèle économique»
On a quand même un record, imbattable celui-là. Nous avons été déboussolés par l’air de la liberté. La transition a été une période d’errance et d’effervescence. Et de revendication en sit-in, on s’est acharné à gripper la machine quand on ne s’est pas employé à la détruire. On aurait voulu empêcher le retour de la confiance et inhiber les IDE, qu’on ne s’y serait pas pris autrement. Et encore nous n’en sommes qu’au début. Bouazizi voulait du travail et de la dignité. Les jeunes de Thala, de Kasserine, de Ras Jebel, du bassin minier, du Kram ouest ainsi que des quartiers chics -car ne l’oublions pas, le 14 janvier ils se sont retrouvés dans un élan fusionnel ressoudant notre unité nationale- n’en ont pas davantage, aujourd’hui.
Les martyrs voulaient du bonheur sur terre on n’a rien trouvé de mieux que de les expédier au ciel. Mais enfin, ils ne peuvent pas tous faire le voyage. Au moins mettons en route l’économie. L’emploi, on le sait, c’est l’investissement. On ne le voit pas repartir. Il est vrai que dans l’intervalle, on a voté. Une Assemblée constituante est à pied d’œuvre, un président s’affaire et un gouvernement est aux affaires. Mais demain de quoi sera-t-il fait? Trêve de bonnes intentions. Aux actes, citoyens! Les bonnes choses mettent du temps à murir. On est bien d’accord.
Mais enfin on nous parle de nouveau modèle économique. Pour la majorité des Tunisiens, c’est du pipeau. Un livre blanc, c’est extra. On veut un livre des comptes. Car, à ce jour, personne n’a formalisé ce formidable nouveau modèle économique. Il faut croire que c’est encore un serpent de mer. Tout le monde en parle et personne ne sait l’identifier. On nous a gavés de prospective et de concepts nouveaux. Les bassins de l’emploi, l’effet de levier et que sais-je encore. La révolution a beaucoup servi aux économistes pour faire de l’exercice de style, et au final, on se réveille le 17 décembre avec un budget, conforme au précédent. François Mitterrand ne disait-il pas de ses ministres qu’ils élucubraient beaucoup mais dès qu’ils il s’agit de trouver des sous, ils font comme tout le monde, ils se rabattent sur les cigarettes et l’alcool pour les surtaxer. Mais où est donc la rupture?
Mettez le crédit en route, Fissa!
Les jeunes sont éberlués. Ils voient des responsables faire compliqué quand on peut faire simple. Puisons dans notre mémoire nationale. Le travail de refondation de l’Etat et du circuit des finances publiques est une œuvre noble. Mais à côté, on peut faire du dépannage. Durant les années 60, on a fossoyé un peu vite les caisses locales de crédit mutuel. Pourquoi ne pas les avoir réactivées? C’est un concept de banque de proximité, à taille optimisée, à visage humain et à effet immédiat et au rendement garanti, et qui plus est “made in Tunisia“.
Les CLCM, elles ont boosté l’agriculture du pays. Elles ont mécanisé nos champs et donné de la perspective aux petits agriculteurs. Elles en ont fait des exploitants agricoles, c’est-à-dire des chefs d’entreprise. Il est vrai que les agriculteurs ont englouti une partie du capital, à l’époque. Mais peut-on juger un crédit d’investissement social avec les critères de profitabilité?
Le système bancaire traîne des créances carbonisées pour 5.000 milliards -on parle de celles qui sont comptabilisées au grand jour- que représente le déficit des CLCM, en regard de l’ardoise des PME-PMI ainsi que du tourisme? Peu de chose. Des entreprises industrielles qu’il faut constamment mettre à niveau et des hôtels qu’il faut tout le temps aider à se mettre à jour? Allez chiffrer tout cela. On raconte que des unités hôtelières auraient coûté plus de 100 milliards. On ne va pas faire le procès du tourisme, loin de nous cette idée. Cependant, quand on songe que l’autoroute de Bizerte -50 km- a tout juste coûté 150 milliards, y a pas photo quant à l’efficacité des choix antérieurs.
La Révolution nous a offert l’occasion de nous en démarquer. Encore une fois où est la rupture? En regard des sommes astronomiques englouties par l’industrialisation hasardeuse et le tourisme hésitant, que peut coûter le renflouement des coopératives de services agricoles? Pourquoi ne pas remuscler ces structures mutualistes et leur donner un accès au venture capital. Quand bien même le retour sur investissement financier serait faible, l’agriculture ré-attirerait la jeunesse rurale désœuvrée et oisive car, en perte de repères.
Redonnons-leur l’espoir de se mettre à cultiver leur jardin! Construisons-leur des circuits de distribution de commerce équitable, de sorte que les producteurs touchent l’intégralité de leur valeur ajoutée sans se faire dépouiller par les intermédiaires parasites et prédateurs.
Proposer la BTS et la BFPME, deux concepts tout à fait valables, mais qui n’ont pas réussi à éradiquer les obstacles à l’investissement des jeunes, ce n’est pas assez. Le système bancaire semble tourner le dos à la révolution. Combien d’agences nouvelles ont été ouvertes dans les régions de l’intérieur en 2011? Quels produits nouveaux pour répondre aux attentes des jeunes?
Pire que tout, les garanties réelles sont toujours de mise et les mauvaises langues rapportent qu’on «touche» comme par le passé. Mais là, il faut être prudent car il est délicat d’établir la part de vérité.
On veut un mémorial pour les martyrs de la «révolution de décembre»
On aurait aimé déposer sur leurs tombes un plan jasmin d’urgence. Un plan à la hauteur de leurs revendications et de celles de leurs congénères encore dans l’attente. Ce qui ne nous aurait pas empêchés par ailleurs de réformer le système bancaire malade de pathologies connues: un faible système d’information, l’atomicité ainsi que le déficit de gouvernance. Mais qui va s’atteler à le réformer? Mystère! On leur aurait murmuré que les jeunes trouvent des interlocuteurs à leur hauteur qui savent les écouter et un Etat non pas providence mais prodigue, oui prodigue, qui leur procure du capital et même s’il ne recouvre pas l’intégralité de sa mise, il n’aura pas à leur distribuer un RMI, pas plus qu’il ne souffrira de ses factures céréalières à l’avenir.
On aimerait leur murmurer que Lampedusa, ça ne tente plus personne et que nous allons faire de la Tunisie notre Amérique. Oui, notre pays sera notre eldorado. Nous sachant vivre au paradis, ils reposeraient en paix. Rendez-vous dans une année. Une année c’est un exercice comptable, le temps d’une récolte. En 2011 la moisson n’était pas ce qu’on espérait. Enfin, il y a des résolutions. Qu’on en rajoute une. Edifions-leur un mémorial, c’est trop demander?
A l’avenir on ne voudrait plus aller pleurnicher sur leurs tombes mais leur parler de nos réalisations. Les bons comptes font les bons usufruitiers de martyrs. A ce prix, on aura recouvré notre dignité. Non pas des profiteurs mais de nobles héritiers.