Le temps du syndicat unique est révolu. Deux nouveaux syndicats ont vu le jour depuis le 14 janvier 2011: la CGTT (Confédération Générale Tunisienne du Travail) et l’Union Tunisienne du Travail (UTT). Deux centrales syndicales qui prennent place aux côtés de l’Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT). Mais dans quelle mesure ce pluralisme va faire avancer la pratique syndicale en Tunisie?
Sfax, le 12 janvier 2011. Une grève générale paralyse la ville. Elle est décrétée par l’Union régionale de l’Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT), qui est, à cette date, la seule centrale syndicale du pays. Elle va constituer un moment fort de la révolution tunisienne qui va contraindre le président Zine El Abidine Ben Ali à fuir le pays deux jours plus tard, le 14 janvier 2011.
Le vendredi 14 janvier 2011, la même UGTT déclenche une grève générale de deux heures afin de protester «contre la violente répression par le gouvernement du soulèvement populaire causé par les problèmes économiques du pays, le chômage élevé et la corruption de la famille présidentielle».
Il est tout à fait normal, dans ces conditions, que la centrale syndicale s’implique au cours des premiers jours de la révolution tunisienne dans la dynamique que connaît le pays. Elle décide d’intégrer le gouvernement de Mohamed Ghannouchi 1 et de le quitter aussitôt après que la commission administrative décide le contraire.
Une partie prenante de l’action politique
La même UGTT figure parmi les parties qui vont initier les sit-in de La Kasbah 1, pour demander le départ des ministres membres du RCD (Rassemblement Constitutionnel Démocratique), le parti du président déchu, et La kasbah 2, pour exiger l’élection d’une Constituante en lieu et place de l’élection présidentielle prévue par la Constitution de juin 1959.
L’implication de l’UGTT ne semble pas s’arrêter à ce niveau: la centrale s’élève en termes à peine voilés contre le choix de Béji Caïd Essebsi, qui prend les commandes du gouvernement, en mars 2011, après le départ du gouvernement Ghannouchi 2. En demandant de mieux réfléchir à cette nomination.
Ces faits ne sont pas pour étonner les observateurs: l’UGTT a toujours été partie prenante de l’action politique. Outre l’engagement, grâce au génie de Farhat Hached, dans la lutte pour l’indépendance, la centrale syndicale va orienter les choix des premiers gouvernements de l’indépendance. Le programme économique qui sera appliqué dans les années soixante est le fait d’une réflexion engagée au sein de l’UGTT.
La centrale sera, par ailleurs, aux côtés du président déchu Ben Ali dont elle appuie la candidature, en 2004 et en 2009; même si les relations avec le régime benaliste n’ont pas toujours été un long fleuve tranquille.
Un climat de liberté
Le fait est que, et qu’elles qu’en soient les conditions, une partie des syndicalistes reproche à l’UGTT cet «engagement» aux côtés de l’ancien régime. Ce reproche est accompagné de critiques concernant les premiers responsables de l’UGTT dont certaines diffusées sur les réseaux sociaux tiennent, selon la centrale, de ragots et de mensonges.
Ces critiques ont-elles nourri la décision de réactiver la CGTT (Confédération Générale Tunisienne du Travail), en février 2011? Certains le pensent, ajoutant que les initiateurs de ce projet ont été encouragés par le climat de liberté qui prévaut dans le pays après le 14 janvier 2011.
La CGTT, fondée en 1924 par Mohamed Ali Al Hammi, a critiqué l’UGTT sur au moins deux fronts: celui de l’«allégeance» au pouvoir benaliste et celui de ses méthodes du reste proches de celles pratiquées par ce dernier. Dont celui de l’opportunisme.
L’autre syndicat ouvrier qui voit le jour dans la Tunisie post-révolutionnaire, l’UTT (l’Union Tunisienne du Travail), plus exactement le 1er mai, est une réactivation d’une éphémère UTT, créée en 1956 par le militant Habib Achour et certains autres militants de l’UGTT et disparue une année plus tard.
«Querelles» entre syndicats
L’UTT ne va pas s’attaquer de front, mais en termes à peine voilés. En reprochant aux autorités révolutionnaires de l’ignorer et de ne pas le traiter équitablement comme il le fait pour l’UGTT.
Cela dit, les «querelles» entre les syndicats n’est pas nouvelle. La compétition voire l’adversité existent dans tous les pays –normaux- du monde. Il n’en sera pas autrement en Tunisie.
Mais la question n’est sans doute pas là. En effet, il s’agit de poser la question autrement: dans quelle mesure ce pluralisme va faire avancer la pratique syndicale en Tunisie?
La réponse, on le devine, n’est pas du tout facile. Toutefois, on est tenté de répondre oui, parce que la compétition est toujours bonne. Elle est de nature à favoriser un meilleur encadrement des employés. Tout le monde sait qu’il est préférable de négocier avec une organisation syndicale plutôt qu’avec des employés atomisés.
On peut être tenté de dire également oui, lorsqu’on sait qu’une majorité d’employés, notamment dans le secteur privé, n’est pas syndiquée. Oui, enfin, lorsque le syndicat devient une force de propositions explorant les choix de sociétés possibles à tous les niveaux: politique, économique, culturel,…
Mais la crainte est qu’au lieu de cela, c’est la surenchère et, donc, la course au mieux disant en matière de réponses aux revendications s’installent!