Après avoir détruit des emplois, à présent on esquinte notre image de marque. De gagnants, on devient «loosers». On s’est tiré une balle dans le pied, gratuitement.
Patiemment, lentement, consciencieusement, la FIPA est arrivée à construire, auprès de nos partenaires japonais, une image de marque d’un pays en marche. “A country that works“ était le slogan de l’agence. Avec le départ de Yazaki, ce géant des composants automobiles, notre effort «d’image building» s’effondre. Dans la société des signaux, imposée par la globalisation, avec ses codes et ses rites précis, on craint que le signal envoyé par la firme japonaise ne soit «circulez, il n’y plus rien à voir». C’est fort!
Les démons mangent les dragons
Que de fois les responsables du CEPEX et de la FIPA s’étaient escrimés avec les investisseurs asiatiques pour les décider à venir en Tunisie. Les interlocuteurs asiatiques, bien prudents, répondaient de manière détournée: «avec quels pays européens travaillez-vous?». Et tout le temps que nos étions en rapport avec les pays du Sud de l’Europe, les Asiatiques nous servaient une dérobade polie. Chemin faisant, des enseignes réputées de l’Europe du Nord se sont installées chez nous. Et ça a été le déclic. Ce palier supérieur de partenariat a décidé les japonais à prendre le risque.
A cette même période, le Japon a également pris un pari financier sur notre pays nous accordant le premier «Samouraï», notre premier souverain en devises. Et, c’est l’agence de notation japonaise «JBRI» qui nous a octroyé notre «investment grade». A l’époque, les milieux financiers japonais était réticents. Les maisons de titres ne comprenaient pas qu’une destination touristique s’endette pour son industrie. Le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie de l’époque, s’était évertué à leur expliquer que nous avions décidé d’ouvrir nos frontières et qu’on devait mettre notre industrie à niveau. Et qu’on avait une vision de long terme.
Devant cette marque de cohérence, les investisseurs japonais ont craqué. Ils sont venus et ont joué fair play. Yazaki s’est installée dans une région de l’intérieur, pas très favorisée et donc peu desservie. Il est évident, malgré toutes les critiques a posteriori, leur intention était de contribuer à l’essor régional. Et cela nous amène, dans le même élan rétrospectif, à rendre hommage au groupe Elloumi. La COFAT, filiale du groupe, spécialisée dans les faisceaux électriques destinés à l’industrie auto, a réussi là où personne ne l’attendait. Elle a prouvé qu’on peut transférer en Tunisie une activité industrielle sensible et la réaliser non pas en commençant par le bout de chaîne mais en Full process. Y a pas photo, elle a donné le «strike».
Tous ces éléments réunis ont donné l’image d’un pays laborieux. D’ailleurs, les Japonais nous ont regardés comme un «dragonceau». Mais seulement voilà, le démon de la contestation et de la surenchère revendicative a fini par dévorer le dragon en herbe que nous étions.
«Tout et tout de suite», ça ne paie pas, toujours…
D’élève modèle, on se comporte en élève turbulent. Ça ne fait pas de doute, en exaspérant les dirigeants de Yazaki pour les pousser à plier baguage, on a marqué contre notre camp et qui plus est, à la quatre-vingt-dixième minute. On a pourtant fait le plus difficile. De pays sous-développé, nous avons pu nous imposer comme une puissance émergente en accueillant, sur notre sol, des firmes prestigieuses.
Passer en quelques années du petit «bricolage» de l’industrie de transformation au «lean manufacturing», le top des tops, c’est une prouesse. L’on avait l’étiquette du premier de la classe au niveau du continent africain. Il y a peu nous grimpions allégrement dans le classement de Davos et dans d’autres critériums. On passait pour un pays laborieux. On a pu stabiliser une paix sociale avec les rounds triennaux de négociation. La discipline de la politique de revenus a tenu le coup et le pays roulait tranquillement.
A présent, comment vont nous regarder les investisseurs internationaux? Tels des enfants gâtés, qui crachent dans la soupe? Tout et tout de suite, ça n’a jamais payé. Mais à quoi patronnait le patronat quand la situation s’envenimait chez Yazaki? Et le syndicat qui politise à syndiquer, pardonnez-moi les mots ne me viennent plus devant ce gâchis. C’est un désastre, c’est grade neuf sur l’échelle Richter. Demain il ne faut pas s’étonner que les cerbères de Moody’s s’emparent de cet évènement pour nous déclasser encore.
Mais l’ennui dans tout cela, de notre point de vue, c’est que sous la dictature on a été capable du meilleur. A présent qu’on a rompu avec le parti unique, l’Etat-parti, et qu’on est libre, on fait dans la contreperformance. C’est vrai que nous avons gardé certains anachronismes. Un syndicalisme et un patronat qui n’ont pas encore fait leur mue.
De toutes les défaites, disait François Revel, la défaite culturelle est la plus cuisante, car elle est à 100% le fait du perdant. Notre pays a invité Lech Walesa, leader syndicaliste devant l’éternel. Et le président Walesa, nous a appris qu’en arrivant au pouvoir, il a réduit les salaires de 20%. Il nous l’a dit publiquement au mois d’avril dernier. Je suis moi-même salarié et très soucieux de mon revenu, mais si le prix pour le redressement de l’économie est celui-là, alors, va pour.
Si donc on cherche un nouveau modèle économique, quelques recettes commencent par se faire jour. Un patronat engagé et un syndicalisme participatif. Au moins, essayons pour voir. Et puis sachons que la révolution, c’est bien. Et que le travail c’est mieux.