J’entends ici et là plusieurs voix se lever, des voix d’artistes et
d’intellectuels, pour réclamer de redonner à la culture une place de maître, de
l’inscrire dans la Constitution. Dans le même temps, les gens dans la rue
semblent agacés par un discours qui leur semble venir de la classe «des
bourgeois», alors que l’urgent dans le pays aujourd’hui est de créer des
emplois, sinon de mettre à niveau la santé, l’éducation, les routes, etc.
Qu’est-ce que la culture? Quel est le rang de la culture dans l’échelle des
besoins urgents du pays aujourd’hui? Et quelle culture nous voulons?
Qu’est-ce que la culture?
Nous avons cette fâcheuse habitude de considérer la culture comme un attribut
propre aux classes riches et aisées, dont le souci n’est plus de boucler leur
fin de mois, et qui peuvent donc se consacrer à autre chose, pour passer le
temps, peut-être.
Très grosse bêtise. Et qui nous a ruinés. La culture, c’est ce qui reste quand
on a tout oublié (Edouard Herriot). La culture n’est pas un luxe. Ou alors on ne
parle pas de la même chose. La culture est le propre de l’Homme. L’Homme est
justement Homme parce qu’il a une culture, une façon de faire et de voir les
choses, qui n’existe pas chez l’animal. La culture est de se détacher du réel,
pour en faire une représentation. Sa propre représentation. Et qui sera à la
fois juste (parce que c’est notre façon de voir le monde), et fausse (car elle
est différente du réel, si tant est qu’un réel unique et uniforme existe).
Quel rang pour la culture?
Comment donner un rang à la culture? Est-ce qu’un chômeur est vide d’expression
culturelle? Est-ce que la culture est réellement son dernier souci? Oh que non.
La culture est partout, dans la nourriture, dans le vêtement, dans le langage,
dans la famille, dans la naissance (ou la manière dont une naissance est
accueillie) et dans la mort (ou dans la manière dont la mort est accueillie)…
Elle est partout. La culture est dans la manière dont ce chômeur s’habille, dont
il parle avec ses amis à la table du café du coin, la manière dont il plaisante,
tout en lui est culturel. Rien (ou presque) n’est naturel. C’est en ce sens que
l’expression culturelle ne supporte pas d’être classée dans un rang de
priorités, elle s’impose.
La culture est un phénomène total et qui pénètre tout le vécu de l’Homme. Et
chaque peuple, chaque entité sociale a une culture. Toutes les sociétés de
quelque type soit-elles, primitives ou modernes, sont dotées d’une culture
propre (Malinowski). Et enfin, il n’existe pas de culture qui soit supérieure à
une autre. Il n’existe que des différences culturelles.
Quelle culture nous voulons?
Se pose alors la question de savoir quelle culture nous voulons. Celle du
vulgaire qui fait vendre? Est-ce cela la culture? Des misérables “One man show“
qui font le raccourci du vulgaire, pour attirer et faire rire…? D’abord, depuis
quand le vulgaire fait rire? Moi ça me fait grimacer. Car ça reflète une absence
de génie, une absence d’inspiration…
Est-ce que la culture c’est des festivals avec des caricatures de la danse
traditionnelle? Ou alors c’est des festivals avec les clones et les OGM de
Rotana Music?
La liberté et la démocratisation
Une culture forte est une culture portée, exercée et incarnée par tout un
chacun. Quand on se balade dans les grandes capitales du monde, on trouve de la
culture partout. Dans la rue surtout. On trouve des gens de tous bords, des
jeunes et des moins jeunes, des gens qui chantent, qui dansent, qui peignent,
etc. On voit de la pluralité et de la diversité, la décoration, le vêtement, la
nourriture, tout est sujet d’expression personnelle subjective et artistique.
La liberté va de pair avec la culture, car à défaut de celle-ci, il n’y plus de
culture, il n’y a plus de création, il n’y a plus de subjectivité, plus
d’individus… Il y aura des normes, des moules, comme le violet, comme les
chansons si fades à la gloire de l’ex-régime, comme les caricatures de danse ou
de vêtement traditionnels (à la journée du vêtement traditionnel), ou de jarres
portées sur les têtes…que de la médiocrité.
La culture est l’expression humaine ultime. Libérons juste nos esprits, et
donnons du savoir, de la connaissance, une éducation libre et ouverte à nos
enfants, et nous aurons une extrême richesse culturelle.