Les formalités administratives qui alourdissent considérablement la charge de travail des entreprises en Tunisie ne sont en vérité que la facette cachée d’une lourde bureaucratie affaiblie par une réglementation mal adaptée aux exigences du contexte économique mondial et non conforme aux standards internationaux.
La mise en place d’une politique de réglementation efficace s’impose alors comme une condition nécessaire pour améliorer l’efficacité de l’administration dans son ensemble et pour développer des conditions propices à l’investissement.
Le terme réglementation désigne toute la panoplie d’instruments au moyen desquels les pouvoirs publics imposent des obligations aux entreprises et aux citoyens.
Les réglementations se décomposent en trois catégories :
i) Les réglementations économiques qui orientent et dirigent les décisions du marché telles que la fixation des prix, la concurrence, l’entrée sur le marché ou la sortie du marché;
ii) Les réglementations sociales qui protègent des intérêts de la collectivité comme la santé, la sécurité, l’environnement et la cohésion sociale.
iii) Les réglementations administratives qui touchent les formalités administratives à travers desquelles les pouvoirs publics recueillent des informations et interviennent dans les décisions économiques individuelles. Ces trois catégories de réglementation sont utilisées parallèlement par les pouvoirs publics pour assurer aux entreprises et aux individus un cadre juridique prévisible qui leur permet de prendre des décisions, de planifier et d’investir.
La qualité de la réglementation revêt donc une importance primordiale dans la mise en place de conditions qui encouragent les investissements et d’un environnement transparent basé sur la primauté du droit, la transparence et la responsabilité. Elle contribue en outre à la bonne gouvernance du secteur public, élément clé de la compétitivité et de l’attractivité des économies.
En revanche, si la réglementation établit des barrières à la concurrence et au libre-échange qui ne sont pas nécessaires, ou redouble les responsabilités des autorités administratives, comme c’est pratiquement le cas en Tunisie, elle risque bien d’être un frein à l’investissement et un obstacle à la compétitivité et à la croissance de l’économie.
Dans ce cas, la réforme de la réglementation devient une étape décisive et inéluctable dans tout programme ambitieux visant à assainir le climat des affaires. Etant donné l’éventail des domaines de la politique de réglementation, nous focaliserons l’attention sur un domaine que nous jugeons prioritaire en matière d’assainissement du climat des affaires, celui de la réduction de la charge administrative.
Dans le cadre d’une politique de simplification, certains outils techniques peuvent se révéler très utiles, comme la mise en place de guichets uniques. Ce mouvement pourrait être amplifié dans la sphère sociale et également pour les petites et moyennes entreprises et les particuliers.
Un autre type d’outil concerne des clauses de caducité automatique (sun-setting) des textes, qui pourraient être introduites. Ceci permettrait de renverser la charge de la preuve et d’obliger l’administration à réexaminer systématiquement les textes, sous peine de voir leur validité annulée à une date donnée.
Enfin, un effort de mesure statistique de la charge économique effective générée par le fardeau réglementaire – d’une mesure particulière ou d’un régime réglementaire complexe existant – permettrait d’orienter les efforts de simplification pour en maximiser les gains économiques.
La politique de simplification poursuit quatre objectifs spécifiques:
– L’allégement des formalités trop complexes et la suppression des formalités obsolètes ou redondantes;
– Le renforcement de la sécurité et de la cohérence du droit existant (en abrogeant les dispositions devenues inutiles, redondantes ou obsolètes, en réécrivant les dispositions peu intelligibles ou mal coordonnées);
– Le développement des guichets uniques et de l’administration électronique;
– La poursuite et le développement de la codification du droit afin de le rendre plus accessible.
Dans ce cadre, le gouvernement devrait adopter une démarche plus systématique et largement tournée vers les entreprises. Cette politique peut s’articuler autour des éléments suivants:
– L’élaboration de Lois de simplification incluant non seulement la simplification des démarches et formalités administratives, mais aussi des mesures de modernisation du fonctionnement des administrations et de simplification du droit.
– Le développement de l’administration électronique.
– La mise en place d’un programme de mesure et de réduction des charges administratives, qui établit des méthodes plus systématiques pour simplifier la vie des entreprises. Ce programme aiderait à mieux connaître, en les mesurant, les coûts induits par les obligations administratives, et à les réduire.
Le programme de mesure et de réduction des charges administratives pourrait s’articuler autour des trois composantes suivantes:
– Recensement complet et systématique des obligations d’information. Il s’agit en particulier de mener une mesure systématique basée sur un modèle statistique bien défini, comme celui des coûts standards, et ciblée sur les charges pesant sur les entreprises. Ce travail permettra d’estimer le coût total des charges administratives pesant les entreprises tunisiennes.
– Sélection des obligations à mesurer. Les obligations d’information à mesurer peuvent être sélectionnées à partir d’un inventaire qui permet d’identifier les domaines les plus concernés et qui devraient être considérés comme prioritaires.
– Mesure de ces obligations. Il s’agit de mesurer la charge des obligations pesant sur les entreprises dans. Cette mesure devrait donner lieu à une estimation de la charge pour l’entreprise générée par les délais d’attente des décisions de l’administration, mais aussi du gain potentiel permis par des mesures de simplification.
– Mise en oeuvre en plans d’action. Il s’agit de mettre en oeuvre les mesures de simplification sous forme de plans d’action coordonnés, conduits au sein des ministères concernés.
Cependant, l’initiation et l’application d’une réforme d’ampleur pareille font face à une série de challenges. D’abord, il est impératif d’identifier la liste et l’ordre des mesures à entreprendre. Ensuite, il faut prendre en considération qu’une telle réforme peut être politiquement controversée. Elle implique un transfert significatif de privilèges et de revenus entre les parties prenantes. Ceux qui sont censés les plus touchés par la réforme, les perdants essentiellement, tendent à être des groupes d’intérêt dominants ou des politiciens qui sont capables de bloquer cette réforme. Enfin, le fait qu’un grand nombre d’acteurs et d’institutions politiques soient impliqués pourrait engendrer un processus de prise de décision plus lent et moins prévisible.
Ainsi, la mise en oeuvre d’une réforme de grande envergure telle que celle de l’administration publique pose plusieurs défis techniques, politiques et institutionnels qu’il faudrait prendre en considération:
– Comment identifier l’ordre et la séquence des réformes les plus importantes?
– Comment surmonter l’opposition des groupes d’intérêt?
– Comment mettre en place des réformes qui sont à la fois crédibles et faisables?
– Comment créer les incitations et renforcer la capacité d’application de ces réformes?
– Comment créer des mécanismes institutionnels pour surveiller et soutenir la mise en place de la réforme?
Dans le contexte tunisien actuel, qui marque le passage graduel du pays d’un régime totalitaire vers un système politique de démocratie libérale, le véritable challenge affronté par la collectivité nationale pour assurer la mise en place d’une réforme aussi cruciale que la réforme de l’administration publique, consiste, outre la détermination et la volonté politique, à se doter d’une fonction publique dépolitisée et une administration neutre et fondée sur le mérite.
– Tous les articles sur
Administration