Première organisation nationale à réunir son congrès après la révolution, l’UGTT prendra-t-elle des résolutions historiques? De revendicatif, le courant syndical tunisien peut-il devenir participatif? Le renouveau du modèle économique passe par l’aggiornamento du syndicalisme.
L’UGTT tient son congrès du 25 au 27 courant, à Tabarka. C’est l’événement politique choc de cette fin d’année, qui parvient à éclipser le changement d’équipe gouvernementale. Le départ de la vieille garde à la tête de la «Grande Dame» de la rue Mohamed Ali est une sans surprise car rendue mécanique par la chute du régime. Une nouvelle équipe prendra la direction de l’UGTT. Le changement des hommes va-t-il, pour autant, s’accompagner d’un changement de mental? Le syndicat historique saura-t-il se mettre en phase avec la transition démocratique?
L’UGTT, d’abord une force de frappe
Curieux destin! La centrale ouvrière, une matrice du patriotisme! Elle a été l’alter ego et le compagnon d’armes du néo Destour. Son parcours singulier en a fait un puissant levier de mobilisation en coiffant la base des travailleurs. Elle a apporté une contribution décisive à l’émergence d’un socle nationaliste, pierre angulaire de notre stratégie pour l’indépendance. Depuis, l’UGTT a gardé et entretenu un rôle hybride politico-syndical. Son enracinement, marqué dans la base «dure» ouvrière, lui confère, grâce à ce levier de contestation, une force de frappe et un pouvoir de revendication confirmés. C’est elle qui a aidé à la naissance du modèle social tunisien et des acquis des travailleurs. Et c’est elle qui s’est “opposée“ à l’hégémonie du parti unique. Ses bras de fer avec le parti unique en 1978, puis en 1983 sont des faits établis. Et c’est elle qui a porté le coup de grâce à l’ancien régime.
La cohérence historique aurait voulu qu’elle se dote d’un parti «travailliste», étant donné qu’elle a inspiré, via la «planification», les orientations de la Tunisie naissante. N’étant pas allée jusqu’au bout de sa logique historique, elle n’a pas su donner à l’édifice politique la soupape du pluralisme et par conséquent de la stabilité. Celle-ci était tout le temps une affaire de compromis. Les concessions de l’UGTT pour la flexibilité du travail, ainsi que pour le travail temporaire, les contrats SIVP, etc., ont plus été concédées que réfléchies. A présent le pays est à tournant de son histoire.
L’aggiornamento, le prix de la survie de l’UGTT
L’UGTT va changer d’équipe dirigeante. C’est inscrit dans l’ordre des choses. Mais là n’est pas son principal challenge. Force hybride politico-syndicale, la Centrale doit retrouver une certaine rationalité, c’est-à-dire un recentrage sur son «corps de métier» afin de mieux coller aux réalités du moment. Le pays compte 700.000 chômeurs dont les diplômés sacrifiés par une université anachronique qui n’a pas su se renouveler. Après avoir bataillé pour plus de droits aux gens déjà installés, il faut insérer ceux qui sont restés à quai. Le nouveau départ économique du pays nécessite, par conséquent, que le syndicalisme se penche sur les problèmes de l’employabilité.
L’UGTT, par nécessité, doit étendre sa base en s’ouvrant sur l’encadrement. La transition démocratique nous met en devoir d’enfanter un nouveau modèle économique. L’ère de la revendication est révolue. La place est à la participation. Le combat syndical ayant changé de nature, l’UGTT saura-t-elle changer son fusil d’épaule? Même dans un paysage syndical, remodelé, à la physionomie pluraliste, l’UGTT garde un statut prépondérant.
Maîtresse du jeu syndical et donc du redémarrage économique du pays c’est elle et elle seule, qui pourra imprimer la réforme du courant syndical. Toute la communauté d’affaires et les investisseurs internationaux attendent de voir se réaliser l’aggiornamento du syndicalisme tunisien. Si l’UGTT est au rendez-vous, elle posera la première pierre du nouveau modèle économique et social qui donnerait le souffle nouveau au pays. Faute de quoi, on vous laisse imaginer la suite.