Aujourd’hui, des Tunisiens, de plus en plus nombreux, ont tendance à condamner les sit-in, grèves anarchiques et autres coupures de routes. Il suffit d’écouter les radios, de regarder certaines chaînes de télévision et de lire les journaux pour se rendre compte que le ras le bol a atteint son paroxysme et que le pays ne peut plus supporter ces dérapages non contrôlés en plus.
«Il n’y a pas une seule région dans le pays où des protestations de toutes sortes ne sont pas signalées», a déclaré Wided Bouchammaoui, présidente de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA).
Le plus souvent, ces sit-in sont entachés de ridicule et à la limite tolérée du banditisme. Pour vous en donner une idée, de jeunes écoliers à Borj Louzir (Ariana) ont refusé d’entrer en classe parce que l’institutrice n’était pas de leur goût, clamant haut et fort le fameux «dégage». A Slimane, banlieue sud de Tunis, des sit-inneurs ont arrêté le travail dans leur usine parce que leur patron étranger leur interdisait de fumer. Pis, des contrebandiers, convertis en faux révolutionnaires, sèment la terreur aux postes frontaliers (Ras Jedir, Dhihba au sud du pays, Mellloula au centre-ouest …) et coupent les routes pour protester contre la saisie de marchandises et l’arrestation de certains d’entre eux.
Devant l’ampleur du phénomène et l’émotion générale qu’a suscitée la fermeture de la câblerie Yazaki, à Oum Larayès, et son corollaire la perte (définitive) de 480 emplois, trois avocats ont intenté un procès contre les sit-inneurs et demandé leur poursuite en justice.
Le patronat a demandé, officiellement, d’incriminer les sit-inneurs: «Il est temps d’appliquer la Loi et de demander des comptes à tous ceux qui entravent la bonne marche des entreprises et des institutions publiques», a dit Mme Bouchammaoui.
Le président de la République, Moncef Marzouki, à son tour, monte au créneau et déclare que «les sit-in et blocages de l’accès aux entreprises constituent un suicide collectif qui menace le pays de naufrage», ajoutant qu’«il n’existe aucun pays dans le monde qui accepte le suicide (..), et si cet appel à la raison ne porte pas, nous serons amenés à l’application de la loi et chacun assumera sa responsabilité».
A peine nommé, le nouveau ministre de l’Intérieur, Ali Laaridh, lui emboîte le pas et menace de recourir à l’application stricte de la loi, entendez à la force.
Quant au reste des élites politiques, la démission est totale. Les partis politiques, qui étaient une centaine avant l’élection de la Constituante, se sont distingués par leur indifférence criminelle. Ils n’ont jamais condamné publiquement les sit-in, pillages, incendies, coupures de routes… Ils ont même tendance à laisser pourrir la situation et à se donner en spectacle cette destruction organisée du pays. Par ce silence, espèrent-ils récupérer des voix… Faux calculs et mauvaise stratégie de leur part.
De son côté, le parti majoritaire à la Constituante, Ennahdha, est trop préoccupé par la mise en place des institutions du pouvoir. Et même lorsqu’il a été acculé à le faire, il l’a fait selon la tête du client, comme on dit. Ainsi, si ce parti s’est interdit de condamner par écrit et publiquement le sit-in de la Faculté des lettres de La Manouba (affaire des étudiantes portant le niqab/burqa) auxquelles l’administration de ladite faculté leur avait refusé le passage des examens en cette tenue), il ne s’est aucunement gêné, par la voix de son président, Rached Ghannouchi, de sermonner, à Sidi Bouzid, lors de la célébration du premier anniversaire du déclenchement de la révolution, les Bouzidis pour avoir incendié le siège du tribunal de la région.
Les médias, particulièrement les radios et chaînes de télévision, ont joué, également, un rôle pervers dans la recrudescence des sit-in et autres protestations. Les journalistes qui couvrent ces manifestations se limitent, généralement, à une information tronquée, se contentant de recueillir les points de vue des indignés et refusant -soit par lâcheté, soit par peur, soit par manque de professionnalisme- de responsabiliser les protestataires.
A titre indicatif, il aurait été plus instructif de faire assumer aux mères sit-inneuses, qui réclamaient à cor et à cri des nouvelles de leurs progénitures qui avaient émigré clandestinement vers l’Italie, leur responsabilité dans l’éducation de leurs enfants et dans le financement de leur voyage.
Last and not least, le bureau exécutif de la a centrale syndicale, l’Union générale du travail de Tunisie (UGTT), a été pour beaucoup dans la multiplication des sit-in, grèves et arrêts de travail. D’ailleurs, l’UGTT est la seule organisation nationale à avoir apporté un soutien indéfectible à ces protestations. Elle l’a réitéré lors de son 22ème congrès ordinaire qui se tient actuellement à Tabarka.
Par delà les manoeuvres et calculs des uns et des autres, la prise de conscience d’arrêter l’hémorragie est, heureusement, réelle. Au regard de la détermination du nouveau ministre de l’Intérieur, le «game over» pour les sit-inneurs, c’est sans doute pour bientôt. Néanmoins, le traitement curatif de ces protestations doit s’accompagner d’une réflexion profonde sur les causes qui les ont générées, en l’occurrence, le chômage, le déséquilibre régional, l’analphabétisme, l’absence de perspectives, le code du travail qui tolère l’exploitation des travailleurs par l’Off shore, l’inexistence de l’entreprise citoyenne respectueuse des droits des travailleurs. Tout un chantier que seul le dialogue responsable entre les partenaires sociaux peut mener à terme.