Enfin, une conférence de presse du président-directeur général de la Compagnie des Phosphate de Gafsa (CPG), tant attendue pour expliquer la situation actuelle du secteur du phosphate. Sit-in, grèves et occupations d’usines ont constitué le quotidien du secteur durant plusieurs mois en cette année qui se termine. Bien que les médias aient largement parlé des perturbations qui ont secoué un secteur très important pour notre économie nationale, mais l’entendre de la bouche de son premier responsable relève d’un autre goût.
Kais Dali aura encore plein de travail à faire dans les prochains mois. Durant la conférence de presse du 27 décembre 2011, il a indiqué qu’il a eu un entretien avec le nouveau ministre de l’Industrie et de la Technologie, du gouvernement provisoire. Cet entretien a porté sur la création de commissions chargées de l’examen des problématiques du secteur et de proposer des voies de sortie.
Ces problématiques concernent les chômeurs, les retraités, les agents de sous-traitance expulsés auparavant mais aussi l’indemnisation des personnes qui ont subi des dommages durant les événements de 2008. «Ces derniers demandent une solution politique dans le cadre de la nouvelle politique du gouvernement consistant à indemniser toutes les personnes touchées par l’injustice de l’ancien régime avant le 14 janvier 2011. L’indemnisation sera jugée par décision politique», affirme M. Dali.
Une annonce précipitée…
Concernant les concours de recrutement, l’annonce des résultats partiels a provoqué une autre vague de protestations, dénonçant des malversations dans le traitement des dossiers. Les vieilles habitudes ont parfois la peau dure. Le responsable indique que la décision prise au début était de centraliser les dossiers au niveau du ministère de la Formation professionnelle et de l’Emploi, en tant que partie neutre. A elle seule, la CGT a reçu 16 mille demandes, 13 mille pour le GCT. Il a été décidé que le concours se fasse par dossiers, tel qu’il a été décidé par le gouvernement provisoire, en prenant en compte les conditions sociales (nombre d’années au chômage, nombre des membres de famille pris en charge, nombre de chômage dans une seule famille, etc.).
Selon M. Dali, ces dossiers ont été envoyés au ministère de la Formation professionnelle et de l’Emploi, mais leur centralisation ne fut pas assez organisée. Plusieurs parties ont pris part à leur collecte, ce qui a alimenté des doutes sur la façon avec laquelle ils ont été traités, et a provoqué les protestations. A Redayef, par exemple, une personne s’est chargée de cette question, en absence d’un bureau d’emploi ou d’un maire. On ne peut pas juger comment il les a traités. A Metlaoui et Om Larayess, nous nous sommes chargés de cela directement. A Mdhila, c’est «le comité de protection de la révolution» qui s’en est chargé et a fait la sélection des dossiers.
«C’est la réalité des choses dans cette région. On a annoncé que les dossiers doivent parvenir directement à la CPG mais personne n’a appliqué ceci. Il n’y a pas d’autorité gouvernementale là-bas. Il faut comprendre cela», regrette M. Dali.
Décision politique…
Après cette collecte des dossiers et leur centralisation au ministère de la Formation professionnelle et de l’Emploi, la CPG a demandé que les résultats soient déclarés par étapes, «vue la sensibilité du dossier», selon M. Dali. «On a demandé à ce que les résultats du GCT et de Skhira soient annoncées en premier. Le 15 novembre, celle de Skhira a été annoncée, provoquant des protestations, des sit-in. Nous avons demandé au ministère de l’Emploi de tout suspendre jusqu’à l’apaisement des tensions ».
Mais le gouvernement en a décidé autrement. « J’ai intervenu personnellement pour essayer de changer cette décision. Mais on m’a répondu qu’il s’agit d’une question de souveraineté », poursuit M. Dali. La décision était d’annoncer les résultats d’une seule délégation pour évaluer les réactions. C’était Om Larayes. Il y a eu ensuite un accord entre le ministre de l’Emploi et le maire de Gafsa pour annoncer les résultats de Mdhila.
A la suite des perturbations qui l’ont suivi, il a été décidé d’interrompre l’opération, par décision d’un conseil ministériel. «Ce que nous avions demandé au début», affirme le responsable.
Actuellement, il a été décidé de recevoir les plaintes à partir de la semaine prochaine. Il sera procédé à l’évaluation de tout le processus de collecte des dossiers et des résultats. «Les sit-inneurs nous ont parlé de plusieurs dépassements. Notre devoir est d’examiner le processus, cas par cas, en toute objectivité et toute crédibilité», ajoute M. Dali. De même, il sera procédé à l’examen des critères de sélection, essentiellement au niveau des conditions sociales et de la compétence, surtout qu’il n’y a pas de données concrètes en ce qui concerne le statut social des familles tunisiennes. On a proposé de créer des commissions régionales qui seront chargées de cette question. «Mais reste qu’il faut trouver des personnes assez crédibles pour cela», signale le responsable.
Un grand potentiel…
Notons que le secteur du phosphate a un potentiel de recrutement qui dépasse les 10 mille postes. A la CPG et le GCT, il y a eu des recrutements directs de 3.000 et 1.600 personnes, respectivement. On prévoit de recruter 2.400 à Gabès, 1.500 à Gafsa, 400 à Sfax. Il est prévu également de recruter 2.600 agents dans de nouveaux projets ainsi que 1.400 supplémentaires. Un potentiel qui reflète bien l’importance stratégique du secteur pour l’économie nationale.
D’ailleurs, les recrutements à la CPG et le GCT s’inscrivent dans le cadre d’un programme mis en place pour trouver des voies de sortie à l’impasse actuel, mais qui n’a pu être poursuivi. On prévoit, ainsi, la création de sociétés spécialisées dans la protection de l’environnement à Gabès où se trouve l’usine du GCT. Selon M. Dali, le nombre de recrutement sera assez important avec des salaires variant entre 300 dinars pour les ouvriers et 500 dinars pour les cadres. Un niveau moins important de celui octroyé pour les employés dans les usines de phosphate, soit une moyenne de 1.000 dinars.
Il s’agit aussi de la création d’une société spécialisée dans le transport de produits miniers dans le bassin minier, qui recruterait les employés de la sous-traitance et une autre dans la maintenance à Gabès. La première société compte recruter 1.050 agents de sous-traitance; les équipements ont été déjà acquis auprès des sociétés de sous-traitance après l’approbation du ministère de l’Industrie. La deuxième société recruterait près de 500 agents de sous-traitance.
Un troisième axe du programme vise à consacrer une partie des bénéfices pour le développement régional. Il s’agit de définir les projets et d’étudier leur faisabilité pour les présenter enfin au gouvernement pour approbation. La CPG participera à ces projets à hauteur de 400 millions de dinars, pour la création d’une usine de ciment, planifié depuis 2008, et d’une société de création d’espaces de travail à distance, de sociétés agricoles, etc.
La participation du GCT sera de 250 millions de dinars pour le financement d’une société de création d’espaces de travail à distance, d’une société de maintenance, la mise en place d’une mesure (ou un fonds) pour le financement des projets dans la région, etc.
D’autres projets en cours d’exécution ont aussi connu des difficultés, à l’exemple de celui de Skhira, fruit d’une coopération avec des partenaires indiens. Un contractant principal a menacé de résilier le contrat, nous apprend M. Dali, sachant que le projet a une capacité de recrutement de 400 personnes.
Perte de confiance…
En attendant, cette situation n’a pas manqué de toucher profondément le secteur du phosphate. La Tunisie, 3ème exportateur mondial de cette matière, risque de perdre ses clients. Le capital de confiance s’est profondément détérioré suite aux sit-in à répétition. La production de la CPG a nettement baissé, soit 2,5 millions de tonnes, l’équivalent de 30% de la production en 2010. Celle du GCT représente 45% alors que 65% de la valeur des exportations de l’année précédente ont pu être réalisés, grâce à l’augmentation des prix.
Le bénéfice de tout le secteur n’a pas dépassé les 200 millions de dinars, dont la moitié a été réalisée grâce au déstockage d’un million de tonnes des réserves stratégiques de phosphate d’un total de 6 millions de tonnes. Ce bénéfice s’élève à 825 millions de dinars en 2010, et aurait pu dépasser les 1.000 millions de dinars si les conditions étaient favorables.
Face à cette situation, les clients traditionnels ont dû chercher d’autres fournisseurs, à l’exemple de la Turquie qui importe 90% de ses besoins de la Tunisie ou de l’Inde (20 à 30%). «Notre réputation commerciale s’est détériorée. Il faudrait qu’on reprenne l’activité pour sauver 2012», lance M. Dali.
On a déjà commencé à réchauffer les fours à l’usine de Skhira, ce qui demande 48 heures pour démarrer. Il sera procéder ensuite à l’usine de Gabès qui a des réserves de phosphate pour deux semaines environ. «Mais pour reprendre l’activité en continue, il faut redémarrer le transport du phosphate des mines», souligne-t-il.
La situation dans le secteur du phosphate reflète les maux de tout un pays, les aspirations de jeunes qui ont perdu espoir à cause de la machinerie d’un régime corrompu. Les voies de sortie ne se situent pas seulement dans les chiffres mais dans la compréhension collective d’une situation économique et sécuritaire fragile. Les espoirs, chaque gouvernement en a apporté un bout. Espérons que ce gouvernement, qui reflète «la volonté du peuple» comme le clame le Premier ministre, pourra tenir ses promesses et trouver des voies de sortie concrètes.