«Il ne faudrait pas que toute critique exprimée en direction du gouvernement ou de la Constituante soit considérée comme une attaque ou une allégation émanant de personnes malintentionnées. Ce raisonnement ne tient plus parce que s’il est un acquis que nous a apporté la Tunisie nouvelle, c’est bien la libre expression, qu’elle provienne des médias, de la société civile ou de la rue», a déclaré Mohsen Marzouk, président du Centre Kawakibi pour la transition démocratique, lors de la conférence de presse annonçant pour le 9 janvier prochain le lancement d’une Constituante parallèle.
En réalité, il n’est pas le seul à le dire. Nombre parmi les représentants d’ONG, des médias ou même de l’opposition s’étonnent du refus de la majorité de toute évaluation ou jugement concernant leurs décisions ou leurs démarches. Le mot «Tanbir» revient trop souvent sur la bouche de ces personnes, rappelle non seulement les réactions du système Ben Ali mais exprime une intolérance visible quant aux avis contraires et le refus des garde-fous naturellement appréciés et encouragés dans les sociétés qui ont des ambitions démocratiques.
«La Constituante que nous comptons composer par le biais des ONG sera décentralisée et chaque région du pays sera autonome. Ce que nous souhaitons c’est qu’il y ait une dynamique constructive de la société civile autour de la Constituante élue et légitime et des super-intelligences qui y règnent. Et c’est pour cela que la Constituante que nous sommes en train de composer est parallèle à celle-ci, elle n’enfreindra en aucune manière sa mission et n’entrera pas en conflit avec elle, mais tout au contraire appréciera ses décisions et exprimera la position de ceux qui sont à l’extérieur du cercle restreint du Bardo».
En fait, c’est qu’on appelle une démocratie participative. Car dans le monde d’aujourd’hui, ce ne sont pas uniquement les élus qui décident pour la nation, mais également les forces de pression telles les médias, les ONG et l’opposition. Personne ne peut prétendre être détenteur de la vérité, ce qui explique qu’autour des grandes décisions engageant le pays, il faut réussir un large consensus. Obama ou Sarkozy ne décident pas de tout parce qu’ils ont été élus démocratiquement.
Pour garantir toutes les chances de réussite de cette démocratie participative, les outils technologiques sont très importants, d’autant plus que 2,7 millions de Tunisiens sont quotidiennement connectés sur Facebook.
Le centre Kawakibi pour la transition démocratique s’est donc associé avec Karari.org pour maximiser la participation de la société civile par le partage.
Il faut rappeler à ce propos que Karari.org a été conçue en 2011 par Rajinder Jhol, expert informatique, humaniste et philanthrope hindou inspiré par la révolution tunisienne. Le projet a été ensuite pris en charge par la Fondation Karari pour la démocratie participative financé en partie par la Confédération Suisse (DDC).
Cette organisation apolitique et sans appartenance religieuse a choisi la Tunisie en tant que pays pilote et compte, à partir de sa plateforme tunisienne, s’implanter dans 35 pays dans le monde.
Grâce à cette plateforme qui rappelle, dans son concept, le réseau social Facebook, Karari œuvrera à encourager une gestion transparente de l’Etat, à jauger ses actions en les approuvant ou en les désapprouvant et en participant virtuellement à leur évaluation pour instaurer les meilleures pratiques en matière de gouvernance.
Karari sera donc le site interactif qui permettra aux Tunisiens d’user pleinement de leurs droits démocratiques en publiant en ligne le projet de la Constitution, de proposition de texte de loi, et d’idées et en partageant les propositions de la société civile et des citoyens sur les réseaux sociaux.
Parmi les outils que les membres de la plateforme pourraient utiliser, la parole, l’initiative, le référendum et les pétitions.
S’il est un pouvoir que la révolution a fait découvrir non seulement aux nationaux mais au monde entier, c’est le pouvoir de la rue. Les rues peuvent, sans tomber dans les excès, les actes de violence ou de vandalisme, être des espaces pour exprimer certaines positions. Pas un jour ne passe sans que devant la Maison Blanche ne s’attroupent des groupes représentant des ONG, des dissidents américains ou provenant de tous les pays du monde, pour exprimer leur colère, leur appui ou appeler les autorités américaines à ne plus intervenir dans les politiques de leurs pays respectifs.
Ceci fait partie du paysage familier à Washington, et c’est le contraire qui étonnerait les passants; pareil pour Hyde Parc à Londres.
«Il faudrait peut-être mieux que ceux qui siègent aujourd’hui à la Constituante et ceux qui composent le gouvernement révisent leurs cours de mathématiques. Car en géométrie, lorsque nous disons parallèle, cela veut dire que nous suivons les mêmes directions sur deux chemins, et nous ne risquons pas de nous affronter car à aucun moment nous ne nous trouverons les uns en face des autres», tance Mohsen Marzouk.
En définitive, que l’on suive deux routes parallèles, que l’on y avance chacun à sa vitesse, le plus important n’est-il pas d’être sur la bonne route? Celle qui réussira à mener la Tunisie vers la rive du salut? La démocratie tunisienne ne doit pas être une illusion ou refléter celle d’une «majorité» élue sans prendre en compte la majorité silencieuse. Surtout lorsque cette dernière s’intègre dans des actions visant à faire parvenir sa voix aux élus légitimes et exercer ses droits citoyens par des moyens pacifistes, civilisés et constructifs.