La situation des journalistes et des entreprises de presse n’est pas à envier ces jours-ci. Tous les acteurs sociaux et politiques ont quelque chose à leur reprocher. Le pouvoir exécutif, de plus en plus menaçant, les accuse de ne pas couvrir assez ses activités, et surtout, de ne pas transmettre l’information qu’il souhaite au public. Les lecteurs, auditeurs et spectateurs en veulent, pour leur part, aux journalistes pour ne pas dire toute la vérité et pour manquer, notamment, de professionnalisme. Les entreprises de presse, qui subissent les effets pervers de la crise, se débattent dans moult problèmes pour survivre. Les plus fragiles, particulièrement celles qui ont été créées dans l’euphorie au lendemain de la révolution, ont déjà passé la clef sous la porte.
Face à cette situation, l’Instance nationale pour la réforme de l’information et de la communication (INRIC), un des rares départements n’ayant pas remis un rapport-bilan au gouvernement de Béji Caïd Essebsi, sort brusquement de son silence et adresse à la présidence de la République, à la Constituante et au gouvernement, 14 recommandations urgentes destinées à redynamiser un secteur atone et à «atténuer, selon ses termes, le climat de tension qui règne dans certaines entreprises de presse, en particulier les entreprises publiques». A y regarder de près, en dépit de son caractère urgent, c’est une feuille de route dont il s’agit.
Accélérer la promulgation des textes d’application du code de la presse
Dans un premier temps, l’INRIC suggère au gouvernement d’accélérer la promulgation des textes d’application des trois décrets-lois auxquels elle avait contribué.
Il s’agit des législations qui garantissent l’accès aux documents administratifs détenus par les organismes publics, la liberté de presse, d’édition et de publication et la création d’une Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle (HAICA).
L’INRIC insiste sur l’enjeu d’installer en toute urgence la HAICA, un mécanisme de régulation destiné à organiser le secteur de l’audiovisuel, à garantir la liberté et la diversité de la communication audiovisuelle et à la protéger contre les atteintes et les abus en matière de déontologie.
L’INRIC, apparemment consciente du fait que ces textes ne se réfèrent pas à une Constitution et qu’ils peuvent être révisés à tout moment par l’équipe au pouvoir en place, insiste pour que tout amendement éventuel de ces textes de loi aille dans le sens du renforcement de leur conformité aux instruments internationaux en matière de liberté d’expression ratifiés par la Tunisie, et en particulier le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Enjeu de l’indépendance des entreprises de presse par rapport à l’exécutif
Dans un second temps, l’INRIC recommande de garantir l’indépendance des entreprises médiatiques à l’égard du pouvoir exécutif. L’objectif est de rompre avec les anciennes pratiques qui ont fait de l’information un outil de propagande et de manipulation et ont transformé les entreprises publiques de presse, financées par les contribuables, en de simples caisses d’enregistrement au service d’intérêts personnels étriqués.
Il s’agit également pour l’INRIC d’introduire, dans les meilleurs délais, des changements à la tête des entreprises publiques d’information, en accord entre le président de l’Assemblée nationale constituante, pe président de la République et le chef du gouvernement, et après concertation avec les organisations professionnelles et syndicales concernées, et ce en attendant la promulgation des textes de loi nécessaires en vue de faire du pouvoir législatif la seule autorité chargée de contrôler les entreprises publiques et de fixer les critères de choix des dirigeants de ces entreprises, conformément aux législations en vigueur dans les pays démocratiques.
Mention spéciale pour la radio publique Zitouna. L’INRIC suggère l’adoption de mesures urgentes pour protéger cette radio contre l’intrusion dans ses affaires de parties étrangères, et permettre à l’administrateur judiciaire nommé à la tête de cet établissement, depuis le 12 septembre 2011, de prendre ses fonctions et d’exercer ses prérogatives.
Des idées pour revigorer les entreprises de presse
Concernant les entreprises de presse, l’INRIC propose un audit des ressources humaines et financières des entreprises publiques dont l’Agence Tunisienne de Communication Extérieure (ATCE) et les entreprises médiatiques qui étaient détenues par les membres de la famille du président déchu.
Elle propose également d’accorder des aides aux nouvelles entreprises médiatiques, s’agissant particulièrement de l’importation du papier et de l’acquisition des équipements, de la réduction des tarifs de diffusion en faveur des nouvelles radios et de l’adoption de tarifs symboliques pour les entreprises audiovisuelles non commerciales.
Toujours dans l’optique d’aider les entreprises de presse, elle suggère l’organisation du secteur de la publicité publique et institutionnelle sur la base de l’équité et conformément à des critères objectifs (respect des lois régissant le secteur, telles que la convention collective de la presse écrite, le code de la presse, la loi sur la liberté de la communication audiovisuelle…).
A propos de la carte de presse et d’accréditation
S’agissant des journalistes, l’INRIC recommande l’Instauration d’un système de recrutement des journalistes et des professionnels des médias qui soit fondé exclusivement sur la règle du concours, en vue de mettre un terme aux pratiques de népotisme, de clientélisme, d’allégeance et de corruption, et ce à travers la création de commissions de recrutement indépendantes composées de professeurs universitaires et de spécialistes réputés pour leur intégrité et leur probité.
Elle propose l’installation de la Commission de la carte de presse et la création, en concertation avec le Syndicat National des Journalistes Tunisiens (SNJT), d’une commission placée sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères et chargée de l’attribution des cartes d’accréditation aux correspondants de la presse étrangère, en attendant la création d’un organisme représentant les correspondants de presse.
En amont, l’INRIC conseille à l’exécutif d’améliorer le système de formation, de qualification et de recyclage dans le secteur de l’information, de manière à en promouvoir la qualité et l’efficacité, à travers le renforcement des ressources humaines et financières qui lui sont allouées et de son ouverture sur les jeunes compétences.
Pour une meilleure communication gouvernementale
L’INRIC recommande à l’exécutif de créer une commission provisoire sous la tutelle du Premier ministère (secrétariat général du gouvernement) qui aura pour mission d’organiser la communication gouvernementale et d’assurer la coordination entre les bureaux de communication dans les différents ministères, en vue de faciliter le contact avec les citoyens et les journalistes, en attendant la mise en place d’une nouvelle stratégie de communication gouvernementale en tirant les leçons de l’échec des politiques de propagande pratiquées durant les dernières décennies.
Parallèlement, elle propose la mise en place d’un programme urgent de formation et de mise à niveau des responsables des bureaux de communication et des attachés de presse exerçant dans les différentes instances de l’Etat, en particulier à la présidence de la République, à l’Assemblée nationale constituante et aux différents ministères.
Ce programme de formation gagnerait, selon l’INRIC, à être conforme aux standards internationaux en vigueur dans les pays démocratiques, en rupture avec les anciennes pratiques de censure de l’information et d’obstruction envers les journalistes pour les empêcher de couvrir certains évènements d’actualité.