Mohamed Lamine Chakhari, ministre de l’Industrie et du Commerce, a déclaré, alors qu’il recevait jeudi 29 décembre Sergio Martins, président du groupe cimentier portugais SECIL -acquéreur de la cimenterie de Gabes-: «le gouvernement est en train d’agir pour débloquer la situation et assurer la reprise du travail dans les divers pôles de production industrielle et énergétique».
La Société des Ciments de Gabès, rappelons-le, est en arrêt de production depuis plusieurs jours en raison de sit-in observé par des employés de sociétés de sous-traitance. Elle n’est d’ailleurs pas la seule, l’unité de production de «Chamia» Le Moulin à Sfax a fermé ses portes. 520 employés se retrouvent au chômage!
Estimons-nous heureux, d’ailleurs, que le groupe cimentier portugais ait bénéficié de l’attention du ministre de l’Industrie, car le groupe japonais Yazaki, lui, a été complètement ignoré jusqu’à ce qu’il boucle ses valises et parte pour d’autres cieux plus cléments. Ridha Saïdi, ministre conseiller auprès du Premier ministre en affaires économiques, serait aujourd’hui en train de négocier avec Yazaki, le maintien de ses activités à Oum Larayes. Pendant ce temps, le président de la République provisoire, sensé veiller sur les hauts intérêts de l’Etat, se rendait au festival de Douz… et pensait résoudre les problèmes économiques en vendant les palais présidentiels.
Sit-in, grèves anarchiques, manifestations, blocages de routes et des entrées aux sites de productions, si ce n’est des sorties, n’ont pas arrêté tout au long de l’année 2011 dans une quasi impuissance ou indifférence… des pouvoirs publics. Maîtriser ces phénomènes serait apparemment devenu du domaine de l’impossible, dépassé tout le monde et mené au départ de 120 entreprises du pays. La Tunisie n’est plus le site paisible et convoité d’antan! Etat, UGTT, UTICA ne sont pas arrivés à gérer une situation qui risquerait de mettre le pays en faillite. Le mal est toutefois fait et il va falloir déployer d’énormes efforts pour retrouver la confiance des investisseurs domestiques et étrangers.
Et l’année 2012 ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices! Le pays vit depuis trop longtemps dans un marasme social et économique qui rend la sortie de crise assez difficile et ce n’est pas une révision de la notation souveraine vers un BB qui lui permettra de sortir sur le marché international et approvisionner le circuit économique en contractant des prêts. Le message du marché est clair, tout ce qui est financements extérieurs sera de nature spéculative, et lorsque nous savons que la nouvelle Loi des finances prévoit la mobilisation de près de 7 milliards de dinars de l’extérieur, on se demande bien comment on pourrait le faire et surtout dans quelles conditions…
En attendant, les discussions sur la Loi des finances ont abouti à un accord et a été adoptée même si cette Loi des finances «ne reflète ni la réalité du pays, ni d’ailleurs la politique du nouveau gouvernement qui ne l’a pas mise en place. Le prélèvement des 4 journées de travail ainsi que l’augmentation des prix des hydrocarbures qui devaient soutenir le budget de l’Etat, étant aujourd’hui caduques, d’où pourrions-nous soutenir les finances de l’Etat?», interroge un expert économique connu.
La nouvelle Loi des finances prévoit un déficit de 6% et peut aller jusqu’à 7 ou 8%, ce qui pourrait déclencher un processus inflationniste très grave. «Soit une course entre les salaires et les prix».
La stabilité sociale pour relancer l’investissement
Pour relancer l’investissement, il faut être intransigeant sur tout ce qui concerne la stabilité sociale et la sécurité. L’UGTT, dotée aujourd’hui d’une nouvelle direction, devrait assumer ses responsabilités envers le pays et le peuple et maîtriser ses troupes. Car on ne peut approuver toutes les revendications en situation de crise tant nationale qu’internationale, et si la centrale syndicale des travailleurs ne se montre pas plus compréhensive et plus soucieuse des hauts intérêts du pays, c’est à une crise sociale sans précédent que nous ferons face.
On ne peut non plus prendre la Tunisie et une jeunesse désespérée en otages dans un jeu de rapports de force dont les travailleurs eux-mêmes seront les premières victimes. A force de tirer sur le fil, il finit par se rompre, nous l’avons vu avec toutes ces entreprises qui sont parties.
La centrale patronale s’est déclarée, par la bouche de sa présidente, Wided Bouchammaoui, prédisposée à relancer l’investissement: «Nous sommes prêts non seulement à investir mais à booster et aider tous les jeunes soucieux de lancer leurs propres projets. Il est bien entendu impératif que l’on s’entende sur une suspension totale des grèves anarchiques et de tous actes causant l’arrêt de travail dans les unités de production quel qu’elles soient, publiques ou privées. Nous sommes prêts à discuter s’il s’agit des droits des travailleurs et d’arriver à des résultats dans le cadre de négociations et d’un consensus pour sauvegarder un équilibre déjà fragile de notre économie».
Wided Bouchammaoui a de nouveau tancé ceux qui s’acharnent sur l’image de marque de la communauté d’affaires. «Devons-nous avoir honte de nos réussites? Au lieu de montrer aux jeunes des exemples positifs de ce que peut être un homme ou une femme d’affaires, on est tout le temps en train de les traiter de voleurs. Cela ne sert l’intérêt de personne. Tout au contraire, cela freine toute initiative tendant à investir et créer des postes d’emplois. Il est étonnant de voir des opérateurs privés pointés du doigt pour des affaires sans fondements alors qu’il faut les inciter à créer des projets et les encourager à se déployer dans les régions les plus défavorisées. Si quelqu’un a enfreint la loi, nous sommes pour que justice soit faite mais pas de n’importe quelle manière et en prenant pour prétexte n’importe quoi».
Et si entreprendre consiste à changer un ordre existant, on peut dire que le nouveau gouvernement l’a réussi à condition que cela ne se transforme pas en une catastrophe pour le pays. En fait, l’ordre existant a été bouleversé car loin de choisir des profils adaptés aux postes économiques clés, c’est la logique de la répartition des postes entre la Troïka qui l’a emporté.
Les différents ministres, du moins économiques, doivent aujourd’hui mettre les bouchées doubles pour se familiariser avec le management administratif que nombreux n’ont jamais exercé auparavant. Ils doivent gagner la confiance des milieux d’affaires et des partenaires sociaux et arriver à établir un dialogue constructif avec eux.
La Tunisie a aujourd’hui besoin de se remettre à flots et que l’on approuve les nouveaux dirigeants ou pas, notre devoir est de soutenir tout effort qui vise à rendre au pays sa stabilité, sa sécurité et ses équilibres socio-économique. Le nouveau gouvernement à une lourde tâche à accomplir et qui consisterait en premier lieu à rassurer les investisseurs et les entreprises en place pour maintenir les postes d’emplois.
British Gas à elle seule a investi près de 3,5 milliards de dollars en Tunisie et fournit la STEG à hauteur de 60% de ses besoins en gaz naturel, imaginons un seul instant qu’elle n’opère plus, quelle catastrophe cela pourrait être pour le pays dans une conjoncture totalement incontrôlable surtout depuis les élections et la démission de l’ancien gouvernement par trop rapide à notre goût.
Le vide créé au niveau des centres de décision qui s’est étalé sur des semaines n’a fait qu’empirer la situation sociale. Nous n’arrivons d’ailleurs pas à nous expliquer l’incapacité des autorités locales et des forces de l’ordre dans toutes les régions du pays à mettre fin au climat d’insécurité et d’instabilité qui ont mené à la fermeture de dizaines d’usines et la mise en chômage de milliers de travailleurs.
Espérons que les petits calculs politiques mesquins laisseront la place à un plus grand idéal, celui de sauver le pays de ses difficultés sociales et économiques. Pour ce qui est de mettre les bonnes personnes à la bonne place, le jeu démocratique ne consiste-t-il pas justement à sanctionner ceux qui n’assurent pas par les urnes?