Un journal devisait récemment, et à juste titre, que la Tunisie venait de s’illustrer universellement non par un exploit sportif, scientifique ou économique mais par l’acte d’un désespéré! Cette réflexion m’a convaincu à réagir à l’abandon des SSII tunisiennes par les banques.
Je comprends que mes confrères se posent la question de savoir si, après tant de sacrifices et une majestueuse révolution exemplaire, se retrouver dans une telle situation est la malédiction d’une fatalité.
D’abord, il faut refuser la fatalité du désespoir! A fortiori quand cette fatalité n’est pas l’œuvre d’une volonté divine mais plutôt l’œuvre des hommes: celle de Tunisiens compétents et dont je crois la bonne et sincère foi mais dont je ne partage pas totalement les motivations.
Pour avoir passé une bonne partie de ma carrière aux côtés des banquiers tunisiens, je défie qui pourrait les taxer de mauvais gestionnaires et encore moins dénués de tout patriotisme.
Bons gestionnaires, ils le sont. Le fait qu’ils brillent de tous feux dans les instances internationales montre que l’école tunisienne est appréciée et ses cadres recherchés et recrutés partout. On s’en rend compte de plus en plus!
Patriotes, ils le sont autant que tous les Tunisiens, pour preuve: aucune faillite n’a ébranlé le secteur malgré son asservissement à la cupidité du pouvoir. Ceci est à leur honneur et ils méritent cet hommage sans aucune complaisance.
Mais alors où est le problème qui a poussé au divorce?
Historiquement, c’est sous l’influence et/ou avec la bénédiction des autorités, que le GIE chargé du dépouillement a choisi une solution originale: partager le lot de 7 banques, puis celui des 3 autres entre trois entreprises tunisiennes. L’objectif avoué consistait à donner un coup de pouce à l’avènement d’une industrie du logiciel en Tunisie.
Certes, cela a été fait en dépit de toute orthodoxie réglementaire -et c’est là où se trouve le fond du problème:
1. Les banques auraient-elles mal pris cette ingérence dans leur sphère de pouvoir personnel ou juste mal digéré les entraves à la réglementation?
2. Les quelques compétiteurs qui avaient crié à l’imposture car cette décision a été prise durant le dépouillement et non au lancement de l’appel d’offres sont-ils pour une part dans ce retour de manivelle?
3. De leur côté, les éditeurs tunisiens considèrent léonines des conditions contractuelles dictées et ce malgré leurs efforts pour y remédier.
Aujourd’hui, les banques justifient cette rupture par les manquements des fournisseurs tunisiens. Sans aller jusqu’à le confirmer crûment, cet argument est en partie exact car les Tunisiens sont nouveaux sur ce marché! Ils ne peuvent rivaliser sur TOUS les critères avec des éditeurs qui ont plus de 20 ans de métiers et plusieurs dizaines de références! Le nier serait une mystification.
Mais c’était cela le défi à relever par TOUS et les éditeurs tunisiens ont des atouts pour le réussir!
Ce qui fait râler encore plus les Tunisiens, c’est que ces banques s’apprêtent à signer avec d’autres et à des conditions contractuelles financières à faire rougir de jalousie le plus blasé des éditeurs tunisiens. Cela pousse l’incompréhension à son comble.
Au vu des enjeux des uns et des autres, les raisons de ce divorce méritent un débat, car c’est certainement un mix de plusieurs raisons plus ou moins avouables de part et d’autre. La bonne règle ne voudrait-elle pas qu’il faille passer par des séances de réconciliation avant le divorce? Sinon il faudra alors parler de répudiation et non de divorce!
En tout état de cause, l’absence de réaction des autorités de tutelle est la plus flagrante des raisons du divorce. C’est pourquoi je m’adresse en premier lieu à la nouvelle autorité de tutelle pour qu’elle entame ce débat qui a tant fait défaut car, je reste convaincu que la décision des autorités de l’époque était incontestablement louable! Quant à savoir si les conditions de réussite d’une telle décision ont été garanties… Manifestement c’est NON! Ce n’est pas parce que la manière à fait défaut qu’il faille remettre en cause une bonne idée!
Il est grand temps que les nouveaux responsables de la destinée du pays statuent sur cette séparation en cours de consommation avec tout ce qu’elle implique de conséquences. Ne pas réagir serait en soi une réponse et une prise de position claire car elle revient à laisser le divorce se concrétiser et remettre en cause, voire compromettre la naissance d’une vraie industrie du logiciel en Tunisie. Elle revient aussi à se contenter de faire de ce secteur, au mieux, un éternel sous-traitant d’éditeurs étrangers versatiles et nomades au gré des incitations fiscales et douanières.
Refuser le divorce c’est remettre les pendules à l’heure : cela commence par un débat qui doit aboutir d’abord à fournir des garanties aux deux partenaires et en particulier les banques. Je dis cela car aujourd’hui un bon bout de chemin a déjà été fait et qu’il serait vraiment dommageable et dommage de laisser ce travail aller à la masse. D’autant plus que l’industrie du logiciel est un pôle particulièrement attractif à la création rapide d’emplois.
Plusieurs raisons le justifient:
1. Le cout de l’investissement par emploi créé. Cela veut dire qu’il ne sera pas nécessaire d’aller s’endetter et que ces fonds sont rapidement mobilisables.
2. Un secteur générateur de revenus fiscaux consistants. Les licences logicielles représentent le seul produit fini qui puisse être vendu et revendu en l’état avec des revenus récurrents pour la communauté. Ce n’est pas le cas des sous-traitants ni des intégrateurs.
3. La capacité à employer. Ce secteur absorbe naturellement des compétences techniques du supérieur, mais il a besoin aussi de créatifs issus de toutes les disciplines, d’infographistes, de gestionnaires, de commerciaux… Ce secteur est capable de donner pleins d’espoir à beaucoup de désespérés.
4. Le besoin intarissable en modernisation. Le software est la voie royale pour la modernisation et la rationalisation de la gestion et, par-là même, la transparence avec toutes les retombées positives pour le pays. Inversement, une carence de la production locale en termes de logiciels ne peut qu’impliquer des hémorragies de devises et d’asservissement.
5. Exporter à partir des régions. Dans ce domaine, le savoir-faire est un préalable à toute tentative hors des frontières au risque d’y perdre beaucoup de temps et d’argent. Par contre, une fois ce savoir-faire acquis, l’exportation se trouve facilité car ce secteur ne nécessite pas d’infrastructure de fret. De ce fait, il peut s’implanter rapidement dans les régions et participer à les désenclaver en y créant des revenus permanents. Par un simple clic à Tozeur, on peut livrer à l’autre bout du monde! On pourrait faire de Tozeur la Palm Valley!