Tunisie : Abdelmajid Bouden révèle les dessous de l’affaire de la BFT (2)

bft-bouden-1.jpgWMC : Dans ces conditions, qu’a fait ABCI?

Abdelmajid Bouden: Face au blocage sur ces différents points litigieux,
ABCI
avait informé l’Etat tunisien qu’elle allait saisir le CIRDI de ce différend
qu’elle n’avait pas pu régler à l’amiable. En réaction, l’Etat a initié des
procès devant la justice locale, au civile et au pénal, en violation de ses
obligations internationales. C’était la première fois que l’Etat
instrumentalisait ses juridictions contre des investisseurs pour obtenir une
sorte de nouvelle vérité officielle qu’il va essayer d’opposer.

Le stratagème a consisté à accuser ABCI, devant ses propres juridictions,
d’avoir eu recours à l’arbitrage international et affirmé que ce recours
constitue une violation du code des changes tunisien et notamment de son article
1er, aujourd’hui abrogé. Il s’agissait de criminaliser le recours à l’arbitrage,
qui est naturel et qui a été prévu non seulement par le droit tunisien mais
également par la convention CERDI ratifiée par l’Etat tunisien.

Pour éviter d’être mis en cause dans cette affaire, l’Etat avait proposé à ABCI
d’engager une procédure d’arbitrage entre elle-même et la
BFT auprès de la
Chambre de Commerce Internationale (CCI), au lieu du CIRDI. (L’Etat voulait que
le litige soit réglé dans ce cadre-là, quitte à ce que la question de la cote
part qu’ABCI devait reverser et devait perdre du fait qu’elle a 50% des actions
soit réglée avec la
STB dans une seconde phase).

L’arbitrage a eu lieu, et la BFT a été condamnée à payer à ABCI le montant gelé,
soit 3.260.000 dollars –alors que l’investissement initial était de 4.139.000
dollars. La différence sur deux ans s’explique deux faits. Le premier est qu’au
moment de l’investissement, en 1982, le dollar était à 600 millimes et deux ans
après le dinar a dégringolé. Le montant en dollars a de ce fait augmenté.
Ensuite, le taux d’intérêt en dollars à cette époque-là se situait entre 11 et
14%.

Mais ABCI a voulu faire un geste vis-à-vis de l’Etat qui avait publié un décret
obligeant les banques à augmenter leurs capitaux de 5 millions à 10 millions de
dinars. ABCI a donc accepté que la somme qu’elle devait recevoir soit mise en
compte courant à la BFT et serve à l’augmentation de capital. Ce qui veut dire
que l’argent ne sortira pas de Tunisie.

Mais Ben Ali avait un autre projet en tête. Ayant fait son coup d’Etat le 7
novembre 1987, il a, le 11 novembre, soit quatre jours plus tard, lancé la
procédure pénale devant les juridictions internes. Ce qui veut dire que ce plan
avait été préparé bien avant et que Ben Ali était déjà au pouvoir en Tunisie
depuis au moins 1984. Et cela prouve aussi que l’objectif de Ben Ali en prenant
le pouvoir était, non seulement de mettre la Tunisie et son peuple en coupe
réglée, mais aussi contrôler l’économie.

La décision au sujet de la BFT était le premier signal de Ben Ali aux opérateurs
économiques tunisiens pour leur dire qu’il peut faire ce qu’il veut et
confisquer ce qu’il veut, y compris une banque, ce qui est une grosse affaire.

Mais pourquoi Ben Ali s’est-il attaqué à la BFT en particulier, et pas à une
autre banque?

Abdelmajid Bouden: La raison est évidente: la BFT était à l’époque la seule dont
la majorité du capital était contrôlée par une seule société, donc il était plus
facile de s’attaquer à un seul investisseur qu’à un actionnariat dispersé.

Et la stratégie judiciaire arrêtée en vue d’atteindre cet objectif semblait
d’autant plus facile à mettre en œuvre que le président d’ABCI est Tunisien et
qu’il suffit de ce fait de l’inviter en Tunisie pour des négociations avec le
chef de l’Etat pour en profiter et lui retirer son passeport et lui imposer par
la force ce que Ben Ali voulait. C’est exactement ce qui s’est passé puisque Ben
Ali m’avait invité en tant que président d’ABCI à venir négocier avec lui;
rendez-vous a été fixé. Dès mon arrivé en Tunisie, j’ai fait l’objet d’une
mesure d’interdiction de quitter le territoire et d’une procédure judiciaire
pénale basée sur la criminalisation du recours à l’arbitrage considéré par des
tribunaux aux ordres comme une infraction au contrôle de change.

Cela veut dire qu’ils ont considéré qu’avant de recourir à l’arbitrage de la
CCI, ABCI devait –ce qui est faux et ils le savent- obtenir préalablement
l’autorisation de la Banque centrale. Or, comme le stipule l’article 16 du Code
des Investissements de 1969, l’agrément d’investissement libérait ABCI de cette
obligation.

Sur cette allégation sans fondement de violation du contrôle des changes, il y a
eu condamnation à une amende faramineuse représentant plus de six fois le
capital de la banque. Ben Ali, son cercle le plus rapproché, le gouvernement de
l’époque et la Banque centrale m’ont également obligé de signer un protocole
transférant les actions à la STB. ABCI a averti l’Etat tunisien que cette
transaction faite sous la contrainte était nulle et non avenue. Ayant compris
cela, l’Etat tunisien a alors procédé à l’abrogation du Code des Investissements
en prétendant que le Parlement était souverain et pouvait le faire.

Or, même si l’Etat a toute latitude pour abroger un texte, il n’en demeure pas
moins qu’ABCI a acquis des droits que l’abrogation de la loi ne peut pas
supprimer. Donc, la position de l’Etat, auteur d’un acte internationalement
illicite, a été ainsi mise à nu.

(Suite)