«La France doit mériter sa place en Tunisie, qui intéresse d’autres pays et s’intéresse à d’autres que nous également». Cette petite phrase fort significative, lancée par Alain Juppé, ministre français des Affaires étrangères, au terme de sa visite en Tunisie, restera dans les annales de l’Histoire des relations franco-tunisiennes, en ce sens où elle annonce un tournant décisif dans les relations entre les deux pays. Elle vient, surtout, sonner le glas au monopole qu’exerçait la France sur les échanges extérieurs de la Tunisie (+25%), mettre fin aux moult privilèges et avantages dont jouissaient les Français (touristes, entreprises off shore…) en Tunisie, et ouvrir une nouvelle page dans les relations entre les deux pays. Ceci étant, n’allons pas vite en besogne!
C’est une véritable nouvelle feuille de route des relations franco-tunisiennes que le chef de la diplomatie française n’a pas manqué d’en esquisser les contours en annonçant que la France «souhaite développer avec la Tunisie un nouveau partenariat d’égal à égal, dans le respect des choix des uns et des autres, avec une dimension politique».
La diplomatie française, qui n’avait pas vu venir –comme beaucoup d’autres pays du reste- la révolution tunisienne et surtout «prendre la juste mesure de la “désespérance“ en Tunisie, a changé complètement de ton et oublié son ton arrogant et autoritaire.
La preuve: Alain Juppé, qui avait menacé au lendemain de la victoire du parti Ennahdha aux élections de la Constituante du 23 octobre 2011, de conditionner l’aide économique du G8 «au respect des droits de l’homme», a fait un virage à 180 degrés, en déclarant à Tunis que «la France va non seulement aider la Tunisie dans son développement économique mais l’appuyer pour mobiliser des fonds dans le cadre du partenariat avec l’Union européenne et de celui de Deauville (G8) que le président Sarkozy avait lancé, il y a quelque mois».
Il a ajouté que la France et la Tunisie «ont beaucoup de choses à faire ensemble dans la région, plus particulièrement où l’exemple tunisien peut servir de référence». M. Juppé pense peut-être aux multiples avantages que les deux pays pourraient tirer d’un éventuel partenariat tripartie avec la Libye, un pays à reconstruire totalement.
Quant aux pays qui pourraient concurrencer la France en Tunisie, la diplomatie française en a une idée précise et les suit de près. L’édito de la «Lettre Pays» d’Ubifrance-Tunisie (numéro du mois de décembre 2011) leur est consacré. M. Jacques Toregrosso, directeur d’Ubifrance Tunisie, écrit à ce sujet: «la situation enviable de la France va être mise à l’épreuve par d’anciens ou de nouveaux partenaires commerciaux de la Tunisie. Les Etats-Unis multiplient leurs initiatives vers tous les pays du “Printemps arabe“. La Turquie est donnée en exemple dans toute la région, la Chine diversifie ses marchés maghrébins d’exportation, et notre principal concurrent européen sur le marché tunisien, l’Italie, vient de proposer une nouvelle facilité, particulièrement compétitive».
La nouvelle ligne de crédit italienne (73 millions d’euros) en faveur des PMI/PME tunisiennes présente l’avantage d’«apporter une nouvelle composante». Elle pourra être utilisée pour le rééchelonnement de la dette bancaire des entreprises privées. Elle comporte également un élément don de 80% (taux d’intérêt annuel de 0% pour une période de remboursement de 40 ans dont 31 ans de délai de grâce).
Face à ses assauts concurrentiels, Ubifrance Tunisie a concocté un programme “France export 2012“ en Tunisie «fort agressif». Il prévoit l’augmentation au taux de 25% les missions économiques françaises en Tunisie, et ce par rapport à 2011. Tous les secteurs sont concernés: transport, électricité, aquaculture, machinisme agricole, équipements oléicoles et viticoles, bâtiment, audiovisuel et médias, monétique, boulangerie, confiseries et pâtisserie, eau et assainissement, tourisme culturel…
Moralité: le coq français doit, désormais, cravacher dur pour ne pas perdre sa petite poule qui pond de l’or, cette petite Tunisie qui est loin d’être un petit marché. Est-ce nécessaire de rappeler que la Tunisie, avec ses 11 millions d’habitants, échange avec la France pour le même montant que de grands pays comme l’Algérie (34,2 millions d’habitants) et le Maroc (35,2 millions d’habitants)?