Une évidence: les observateurs économiques sont unanimes pour dire, aujourd’hui, que le juteux marché libyen présenté comme une passerelle de salut pour résoudre les problèmes de transition démocratique et économique en Tunisie est bien loin de nous être acquis et qu’il faudrait cravacher dur pour en grignoter une infime partie. Même la récente visite du président de la République par intérim, Moncef Marzouki en Libye, une visite hautement politique, n’aurait apporté que des professions de foi sur le plan économique.
Il faut dire que moult facteurs structurels et institutionnels se sont associés pour réduire les chances du business tunisien en Libye.
Au nombre des facteurs institutionnels, figure en bonne place la décision stratégique de la Libye de séparer l’économique du politique, d’ouvrir son marché et de le soumettre à la loi de l’offre et de la demande.
Conséquence: les groupes tunisiens, pour la plupart des petites et moyennes entreprises, et de surcroît handicapées par la taille critique, n’ont, en toute logique économique, aucune chance de concurrencer avec succès les multinationales asiatiques et occidentales.
Pis, mal encadrés, les hommes d’affaires tunisiens présentent le désavantage d’offrir leurs savoir-faire, services et produits en rangs dispersés. La centrale patronale, l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA) manœuvre à Tripoli tandis que sa rivale, la Confédération des entreprises citoyennes de Tunisie (CONECT), multiplie ses missions vers la future capitale économique libyenne: Benghazi.
La nouvelle administration, peu expérimentée et fort gênée par ce bicéphalisme patronal, essaie de satisfaire tout le monde en faisant le grand écart entre l’est et l’ouest libyens.
Relevons, néanmoins, que les deux organisations patronales, tout autant que les structures d’appui (CEPEX entre autres) et le nouveau gouvernement sont parfaitement conscients de cette défaillance et s’emploient à y remédier.
Deux propositions reviennent le plus souvent dans les analyses des experts et connaisseurs du marché libyen (tout un pays à reconstruire).
La première consiste à encourager les entreprises tunisiennes à se regrouper en consortiums et en pools devant leur permettre d’acquérir la taille critique et de soumissionner avec certaines chances de succès les appels d’offres lancés par le gouvernement libyen.
La seconde invite les groupes tunisiens à s’allier à des multinationales dans le cadre d’un partenariat tripartite tuniso-libyo-turc ou tuniso-libyo-français, pour remporter des marchés en Libye.
A signaler également cette initiative à l’actif du nouveau ministre de l’Equipement, Mohamed Salmene: son département s’est engagé à mettre en place, en Libye, une structure d’encadrement destinée à accompagner les sociétés de Bâtiment et de travaux publics tunisiennes.
La CONECT, par la voix de son président, Tarek Chérif, recommande aux entreprises tunisiennes de valoriser, au plus vite, le capital sympathie dont jouissent les Tunisiens en Libye et d’être les premiers sur le terrain. Il s’agit d’exploiter, à bon escient, le timing.
Habib Hammami, responsable du Centre de promotion des exportations (CEPEX) à Benghazi (Libye), suggère aux hommes d’affaires tunisiens d’explorer le marché de l’Est de la Libye, qui, marginalisé à dessein par l’ancien régime de Kadhafi, est, de nos jours, un débouché porteur pour les produits et services tunisiens. Dans cette perspective, il recommande la mise en place de la logistique requise pour permettre aux exportateurs tunisiens de vendre et d’opérer directement à Benghazi sans passer par Tripoli, invitant les privés tunisiens à investir dans le transport maritime entre les grandes villes tunisiennes et Benghazi et à intensifier l’exportation des services à haute valeur ajoutée (services de santé, ingénierie…).
Quant aux Libyens, apparemment toujours attachés à la communauté des destins entre la Libye et la Tunisie, proposent des solutions stratégiques régionales. Pour le Conseil nationale de transition libyen (CNTL), il est temps pour les Tunisiens de dépasser le stade des échanges commerciaux et la perception de la Libye comme un filon d’emplois pour eux, pour une nouvelle vision régionale hautement stratégique qui consacrerait l’intégration des économies des deux pays et leur promotion à l’international comme un marché unique, voire comme un potentiel économique attractif pour les gros investisseurs étrangers.
Conclusion: la conquête du marché libyen n’est pas hélas à portée de main. Elle s’annonce même comme une rude besogne.
A méditer.