Au commencement un constat d’experts: la Tunisie post -révolution, confrontée à trois problèmes majeurs, en l’occurrence l’aggravation du chômage, les disparités régionales et la détérioration du pouvoir d’achat du citoyen, a besoin d’importantes ressources de financement pour y remédier et poursuivre sa croissance. A cette fin, le pays, handicapé par un déficit budgétaire de plus de 6% en 2011, n’aurait, hélas, d’autre choix que de recourir à l’endettement même si les récentes crises sont encore d’actualité, pour interpeller les Tunisiens sur les risques d’une croissance basée sur l’endettement (que ce soit pour les Etats ou pour les ménages).
C’est là une des principales conclusions à laquelle ont abouti des experts qui ont participé à la conférence organisée le jeudi 12 janvier 2012 par l’Association des Tunisiens des Grandes Ecoles (ATUGE) sur le thème: «Quelle stratégie d’endettement pour la croissance et le rôle des agences de notation».
«La dette n’est ni mauvaise ni bonne. Elle est vertueuse, c’est-à-dire acceptable et tolérable pour peu qu’elle soit affectée au financement de projets viables et rentables», a-t-on martelé au cours de ce débat.
Une fois cette perception de la dette admise, la stratégie des conférenciers, Radhi Meddeb, PDG du bureau d’études Comete Ingeneering, Ikbel Bedoui, directeur général de Fitch Maghreb rating, et Jamel Belhaj, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), a consisté à proposer des solutions pour réduire les effets pervers d’un endettement qui compromettrait et l’avenir des générations futures et le développement du pays.
Pour Jamel Belhaj, il s’agit de rééquilibrer le portefeuille de la dette en œuvrant, à titre indicatif, à opter plus pour la dette intérieure que pour la dette extérieure, sachant que cette dernière a été utilisée, jusque-là, pour subvenir aux besoins du pays en devises destinées à résoudre les problèmes générés par le déficit budgétaire et celui de la balance des paiements. En amont, il suggère une évaluation globale de la dette et une stratégie de gestion des risques.
Quant à Radhi Meddeb, pour qui le recours à l’endettement est «inéluctable», il recommande d’explorer deux pistes. La première porte sur la promotion du Partenariat-public-privé (PPP) qui a pour vertu d’attirer de gros investisseurs étrangers, et d’éviter ainsi au pays de recourir à l’endettement extérieur pour financer ses projets de développement. Dans cette perspective, il a insisté sur l’impératif de développer le cadre réglementaire et institutionnel du PPP et proposé de développer la capacité de négociation de l’Etat avec ces éventuels investisseurs lequel, pour en tirer le meilleur profit, doit disposer des meilleurs experts et compétences.
Concrètement, il a rappelé que les projets lancés en PPP peuvent être financés par des institutions comme l’IFC, la Société financière internationale (SFI, filiale du groupe de la Banque mondiale chargée des opérations avec le secteur privé) et le Fonds d’investissement Inframed, instrument de financement de l’Union pour la Méditerranée (UPM) dédié à l’infrastructure.
La seconde proposition de Radhi Meddeb consiste à réformer la fiscalité qui demeure «sous-développée» (taux de recouvrement de l’ordre de 20%) et déséquilibrée en ce sens où elle pénalise essentiellement les salariés (retenues à la source) et épargne les professions libérales, outre le régime forfaitaire qui ne profite pas toujours à ceux qui en ont vraiment besoin. D’où l’enjeu d’une équité fiscale qui donnerait à l’Etat l’opportunité de disposer de nouvelles ressources de financement.
Les agences de notation, un passage obligé
Par delà ces propositions, il ne suffit pas de vouloir s’endetter pour que ce vœu soit automatiquement exaucé. De nos jours, il faut cravacher dur pour trouver un prêteur et le convaincre de vous prêter. Ces derniers se fient de plus en plus aux agences de notation internationales qui font, aujourd’hui, la pluie et le beau temps. C’est pourquoi, avant de convaincre le bailleur de fonds, il faut commencer par convaincre les agences de rating.
Malheureusement, les rapports de la Tunisie avec ces agences ne sont pas au beau fixe. En 2011, ces agences ont baissé sa note de BBB+ à BBB- avec des perspectives négatives. Cela signifie que cette note risque d’être révisée encore à la baisse dans deux ans.
Selon Ikbel Bedoui, bien que la Tunisie soit toujours parmi les cinq premiers pays solvables d’Afrique, elle doit impérativement tout mettre en œuvre pour préserver sa note actuelle et éviter le surendettement, synonyme pour lui de perte de souveraineté.
Pour éviter ce scénario, il propose une stratégie d’endettement qui n’implique pas l’Etat. Celle-ci est articulée autour de la promotion du PPP, l’encouragement des grandes entreprises à s’endetter à l’extérieur sans la garantie de l’Etat, le renforcement de la dette domestique, la réduction du coût de l’emploi estimé selon le plan Jasmin à 50 mille dinars, et l’efficacité de l’investissement.
Et la dette odieuse
En dépit de la qualité des participants et des conférenciers, aucune personne n’a osé évoquer la dette odieuse de l’ancien régime, estimée selon le journal britannique The Guardian à 17 milliards de dollars (plus de 25 milliards de dinars), un montant proche de la somme des crédits sollicités par la Tunisie auprès du G8 laquelle se chiffre à 25 milliards de dinars, sur cinq ans.
Cette dette que le droit international définit «comme une dette contractée par un régime despotique pour des objectifs étrangers aux intérêts de la Nation et des citoyens. A la chute d’un tel régime, les créanciers ne peuvent exiger des remboursements que du despote déchu. Cette doctrine s’est appliquée à plusieurs reprises de l’histoire des deux derniers siècles».
Des pays comme l’Equateur ont pu obtenir, après la chute de leurs dictateurs, l’annulation de cette dette. En Tunisie, l’indifférence est presque totale en dépit de l’existence d’une commission chargée de cette affaire au sein de la Banque centrale de Tunisie.
A ce propos, l’historien et politologue français, Eric Toussaint, qui est en même temps président du Comité pour l’annulation de la dette du tiers monde (CADMT), déplore que les gouvernements qui ont remplacé des dictatures aient capitulé devant les créanciers en assumant les dettes précédentes, pourtant odieuses, et se soient véritablement «constitués» prisonniers de remboursements qu’ils pouvaient éviter. En procédant de la sorte, ils ont fait porter indûment à leurs peuples la charge de dettes odieuses. Leur choix pèse négativement sur la vie quotidienne de plusieurs générations successives».
Est-ce là cas en Tunisie! A méditer.